UNE CARRIÈRE EXCEPTIONNELLE COMME JOUEUR

 

Afin que mon analyse ne soit pas interprétée comme une tribune à charge uniquement négative et partiale, je tiens à préciser d’abord une chose très importante. J’ai toujours eu une grande admiration pour la carrière sportive de Philippe Bozon en tant que joueur. Avec ma longue expérience d’observateur attentif dans le hockey sur glace français, je suis bien placé pour affirmer que ce dernier a incontestablement marqué l’histoire de notre discipline en effectuant un parcours exceptionnel crosse en mains. S'il ne fut pas le plus grand de tous, il reste incontestablement une grande star du hockey français.
Dans le but d’énumérer sa carrière de joueur suivant un ordre chronologique, je rappelle que Philippe Bozon a laissé un premier souvenir marquant en étant sacré à trois reprises champion de France de la Nationale A (Ligue Magnus aujourd’hui) d’abord avec le club de Megève en 1984, puis avec l’entente du Mont-Blanc en 1988 et enfin avec le club de Grenoble en 1991.

 

LE PREMIER FRANÇAIS EN NHL

 

Lorsqu’il a décidé de traverser l’Atlantique, Philippe Bozon a réalisé une performance autrement plus prestigieuse puisqu’il a été ensuite le premier hockeyeur français de l’histoire de notre discipline à pourvoir évoluer dans le célèbre circuit professionnel nord-américain de la NHL avec les Blues de Saint-Louis pendant quatre saisons de 1992 à 1995. Il faut se rendre compte que ce fut à l’époque un événement énorme ! En effet, pour tous les hockeyeurs formés en France pouvoir jouer un jour dans la NHL semblait encore un rêve fou et inaccessible !
Autre exploit remarquable de Philippe Bozon, de retour en Europe, il a réussi également un coup d’éclat inédit en étant sacré à trois reprises champion d’Allemagne avec le club de Mannheim (1997, 1998, 1999) où il fut par ailleurs élu meilleur ailier gauche de l’équipe all-stars de la Bundesliga.

 

UNE VÉRITABLE VEDETTE EN SUISSE

 

Mais c’est en Suisse que Philippe Bozon continua à effectuer une autre carrière de joueur très impressionnante en portant cette fois le maillot de quatre clubs successifs : La Chaux-de-Fonds, Lausanne, Lugano et surtout celui de Genève-Servette. Car le célèbre attaquant français, qui a joué sous les couleurs Grenat de 2001 à 2006 (Il fut capitaine de son équipe durant quatre saisons, un grand honneur pour un Français) fit tellement sensation dans la patinoire des Vernets (7135 places) que son numéro 12 a été retiré à jamais du club helvétique !
Un troisième événement retentissant dans sa carrière puisque le 8 mars 2005, le journal « L’Equipe » lui consacra un grand article intitulé « Salut champion ! » dans lequel Cristobal Huet n’hésita pas à affirmer que Philippe Bozon « c’est le Zidane français du hockey ».

 

N’oublions pas également l’empreinte indélébile que le fils de l’illustre international Alain Bozon et le père de deux internationaux actuels Tim et Kévin, a laissé lors de sa longue carrière avec l’équipe de France. En effet, Philippe Bozon a disputé pas moins de douze championnats du monde senior et quatre Jeux olympiques d’hiver (Calgary 1988, Albertville 1992, Nagano 1998, Salt Lake City 2002).
Lors du Mondial d’Oslo en 1989, le Haut-Savoyard termina meilleur buteur de l’équipe de France et il réédita cette performance à cinq reprises dans sa carrière ce qui constitue un record absolu chez les Tricolores (1989, 1990, 1991, 1998 et 2001) pour un total de 189 sélections.
Meilleur marqueur français également de toute l’histoire des J.O d’hiver, on oublie un peu trop vite que Philippe Bozon fut également capitaine des Tricolores à deux reprises en 1997 et en 2002. Enfin, le Français, natif de Chamonix, fut élu au Hall of Fame de l’IIHF en 2007. Un an plus tard, lors d'une cérémonie inédite, il fut également immortalisé en 2008 dans le nouveau Temple de la Renommée de la FFHG que je venais tout juste de créer à la demande de Luc Tardif.
Enfin, la FFHG a rendu beaucoup plus récemment un dernier hommage à son brillant parcours sportif en donnant en 2023 le nom de Philippe Bozon au nouveau trophée récompensant désormais le meilleur attaquant de la Ligue Magnus.

 

Il ne faut pas se leurrer, lorsque la FFHG fut obligée de remplacer Dave Henderson lorsque ce dernier prit sa retraite en 2018, c’est avant tout grâce à sa grande réputation de joueur que Philippe Bozon fut nommé comme nouvel entraîneur national des Tricolores. Une décision qui était à priori très séduisante vu sa belle carte de visite que j’ai énumérée plus haut. Mais dans le sport en général, la preuve a été maintes fois apportée qu’un très grand joueur ne deviendra pas forcément un grand entraîneur. Or, il faut bien reconnaître que les faits sont têtus concernant les résultats de « l’entraîneur » Philippe Bozon pour qui, je le répète, j’ai le plus grand respect après avoir suivi toute sa carrière de joueur notamment en NHL puis à Mannheim en Allemagne lorsque j’étais reporter au journal « l’Equipe ».
Si je veux être totalement objectif (en mettant de côté le respect que j’ai pour lui), je suis bien obligé rappeler le cheminement chronologique assez peu convaincant que Philippe Bozon a effectué ensuite dans sa seconde carrière derrière le banc des joueurs.

 

Celle-ci commença en 2010 lorsque Philippe Bozon fut nommé entraîneur national français de l’équipe de France junior U20. En effet, notre jeune sélection tricolore, qui avait pourtant le grand avantage de disputer cette année-là les championnats du monde de la Division 1 à domicile (Megève et Saint-Gervais) fut reléguée dans la Division 2, une terrible déception après s’être classée sixième et bonne dernière du tournoi. Philippe Bozon, qui avait été pendant cinq ans l’entraîneur des jeunes hockeyeurs novice et juniors du club de Genève-Servette (U15, U17 et U20) n’a pas prouvé avoir thésaurisé son expérience en Suisse. L'erreur était elle pardonnable à cause de l'arrivée du coach français sur la scène internationale ?
De plus, en 2014, de retour à la tête de l’équipe de France juniors U20 après trois ans d’absence, Philippe Bozon avait dû se contenter cette fois de la troisième place lors du Mondial de la Division 1 B organisé à Dumfries en Ecosse.

 

Au cours de la fameuse année 2010, pendant laquelle nos juniors U20 furent relégués avec lui lors du Mondial organisé pourtant à domicile, Philippe Bozon avait été malgré tout embauché le 25 janvier par le club suisse de Lugano, pour lequel il avait auparavant disputé deux saisons en tant que joueur, afin de remplacer au pied-levé Kent Johansson. Ce fut un nouveau challenge et une occasion unique pour l’ancien Tricolore de faire enfin ses preuves comme coach dans le championnat suisse de la Ligue A dont le niveau est plus élevé que celui de la Ligue Magnus.
Mais sous sa direction le club finira malheureusement à nouveau en huitième position. Du coup, au début de la saison suivante, l’ex-international français, à qui on avait laissé encore une chance de rétablir la situation, fut démis de ses fonctions dès le 29 novembre 2010 alors que son équipe était classée onzième et avant-dernière de la LNA et il fut donc remplacé par Mike McNamara.

Sa réputation n’étant pas encore trop écornée, Philippe Bozon a eu une nouvelle occasion de rebondir la saison suivante puisque le 10 novembre 2011, il devint cette fois le coach du club suisse de Sierre en Ligue B en remplacement de Morgan Samuelsson qui avait été limogé la veille. Mais à la fin du championnat, dans la presse helvétique, on pouvait lire sur le site internet du journal Le Matin : « Philippe Bozon n'entraînera pas Sierre la saison prochaine. L'entraîneur français n'avait pas pu redresser la barre du navire valaisan après avoir remplacé Morgan Samuelsson en novembre dernier. Le club a terminé bon dernier de LNB cette saison, à 16 longueurs d'une qualification pour les play-offs ».

 

Pour continuer à exercer malgré tout son nouveau métier, Philippe Bozon a donc essayé de se « refaire » en revenant dans son pays d’origine avec toujours la volonté de réussir sa reconversion. Un rêve légitime qui semblait encore réalisable. D’autant que lors de la saison 2014-2015, le coach haut-savoyard, qui se trouvait derrière le banc dans un championnat de France un peu moins fort, a emmené quand même le club d’Epinal jusqu’à la série finale de la Ligue Magnus où les anciens « Gamyo » s’inclinèrent contre Gap après une haute lutte qui nécessita sept matches.
Malheureusement, lors de son arrivée dans le club de Bordeaux, où il effectua cette fois un séjour de trois saisons, Philippe Bozon n’a pas pu conserver jusqu’au bout sa belle dynamique en tant que nouveau coach des « Boxers ». En effet, ses joueurs ont échoué d’abord en demi-finales contre Gap à l’issue d’une série en six matches en 2017, puis à nouveau en demi-finales contre Grenoble en sept matches cette fois en 2018. Mais les Bordelais se sont arrêtés la saison suivante dès les quarts de finales en 2019 contre Amiens toujours en sept matches.
C’est à cette époque que Philippe Bozon accepta de faire un grand écart inconfortable et sans doute pénalisant en cumulant provisoirement à la fois le poste d’entraîneur de Bordeaux et celui de l’équipe de France.

 

Depuis le début de ma collaboration avec Hockey Hebdo au mois de janvier 2020, j’ai publié deux Tribunes concernant l’ex-entraîneur des Tricolores. Mon tout premier article fut intitulé « Philippe Bozon : deux défis de taille à relever » (lien). J’avais écrit que sa nomination comme nouvel entraîneur national de l’équipe de France senior, en remplacement de Dave Henderson, avait visiblement suscité de nombreuses critiques. Car manque de chance pour Philippe Bozon, la présence permanente des Tricolores dans l’élite mondiale s’est achevée dès son arrivée par une relégation lors du Mondial de 2019 en Slovaquie. Une déscente en Division 1 d’autant plus mal vécue qu’elle résulta d’une incroyable défaite contre la Grande-Bretagne alors que l’équipe de France menait 3-0 à la moitié du match !

 

N’étant pas lui-même sur la glace, Philippe Bozon devait-il être désigné comme le seul et unique responsable de cet échec impardonnable ? Sa nomination comme entraîneur national - due surtout à sa grande célébrité comme joueur - n’était-elle pas peut-être une erreur de casting ? Les nombreux adjoints qui se sont succédés à ses côtés pendant les stages préparatoires des Tricolores (Julien Vauclair, Laurent Meunier, Alexis Billard, René Matte, Ivano Zanatta, Yorick Treille) ne reflètent-ils pas un manque de confiance et une certaine fébrilité de sa part ? J’avoue que je me suis posé à ce moment-là ces principales questions. Mais bon, je restais toujours indulgent envers l’ancien attaquant international.
Toutefois, je pouvais comprendre la désillusion générale car depuis la victoire de la sélection tricolore à Qiqihar en Chine en 2007, nos représentants, profitant de leur grand retour dans le championnat du monde élite la saison suivante (après sept ans d’absence), avaient réussi ensuite la performance avec le duo Dave Henderson et Pierre Pousse de rester dans le gratin planétaire pendant douze années consécutives. Qui plus est avec l’aide d’un seul renfort naturalisé ! Ce fut la plupart du temps le franco-canadien Julien Desrosiers.

 

Deux ans après la relégation en Division 1 lors de ce funeste Mondial en Slovaquie en 2019, une fois que la pandémie du Covid fut terminée, j’ai persisté à croire que Philippe Bozon était pourtant encore l’homme de la situation en rédigeant, au mois d’avril 2022, ma deuxième tribune, avec le titre indulgent et assez complaisant : « Mondial : Philippe Bozon doit enfin convaincre ».(lien)
Par chance, à la suite de l'Invasion de l'Ukraine, l'IIHF a décidé d'exclure la Russie et la Biélorussie de toutes les compétitions. Une opportunité inespérée pour revenir parmi les meilleures nations. C’est cette double absence, plus que l’action de notre coach,  qui a permis à la France de revenir dans la cour des grands au niveau international.
On connait la suite, car Philippe Bozon ne put faire autre chose qu’entretenir à chaque fois un suspense crispant et insoutenable en dirigeant nos Bleus de telle manière qu’ils se sont contenté à chaque fois de faire le « minimum syndical » sur la glace pour pouvoir rester dans l’élite mondiale. Bref, on s’est contenté de croiser les doigts et de prier pour éviter uniquement la relégation.
C’est ainsi qu’à Helsinki en 2022, les Tricolores réussirent à se maintenir en battant le Kazakhstan et l’Italie sur le même score de 2-1. En 2023 à Tampere, les Tricolores sauvèrent à nouveau leurs têtes en battant seulement l’Autriche (2-1). Enfin, récemment à Ostrava en 2024, l’équipe de France a réussi à éviter une fois encore la relégation grâce à son unique victoire contre la Pologne (4-2).
Si on fait donc le bilan de Philippe Bozon, je remarque que sous sa direction l'équipe de france a certes été parfois valeureuse mais la France n’a jamais battu une nation qui se trouvait au-dessus d’elle au classement de l’IIHF.

 

 

Sur les réseaux sociaux, les nombreux commentaires concernant Philippe Bozon n’ont pas été tendres depuis trois ans. Considérant que « c’est le général qui commande la troupe », on lui a souvent reproché notamment son manque régulier de bons résultats et de faire du surplace avec un style de jeu non adapté à l’équipe en donnant à ses joueurs uniquement comme consigne de défendre coûte que coûte. Ce qui est à mon avis faux dans la mesure où Philippe Bozon prônait au contraire un jeu trop ambitieux en voulant avoir le contrôle du palet même contre les nations supérieures techniquement en espérant à chaque fois un miracle alors qu’on a de plus en plus de Tricolores qui évoluent en Amérique du nord et dans les divers championnats majeurs en Europe.
Mais la critique la plus récurrente, à l’issue du dernier Mondial à Ostrava, fut ses choix jugés trop dogmatiques et irrationnels concernant notamment une fois de plus la gestion des gardiens de but. Les meilleurs étaient-ils devant la cage tricolore au moment opportun ? Beaucoup le contestent. Visiblement Philippe Bozon a toujours eu du mal à choisir son premier gardien. Ce fut l’une des raisons, mais pas la seule, des tensions qui sont apparues entre lui et des membres de son staff ainsi que dans le vestiaire des joueurs.
Il est clair que sa politique minimaliste sur le plan de l’ambition était de plus en plus en contradiction avec la volonté affichée publiquement par le président Pierre-Yves Gerbeau qui a déclaré dès le Mondial de 2019 à Kosice : « A long terme notre objectif concernant l’équipe de France, c’est qu’elle soit dans les huit meilleures nations du monde. C’est un vrai changement, je peux même dire une révolution ! »
 

 

 

Lors de sa nomination, l’objectif affiché publiquement par Philippe Bozon était de former une nouvelle sélection nationale avec des joueurs « qui voulaient mouiller le maillot tricolores » et qui suivraient à la lettre ses directives pour, non seulement se maintenir dans l’élite, mais participer également aux quarts-de-finales. Force est de reconnaître que ce fut loin d’être le cas ! Notre seul but fut de remporter au moins un match contre un advarsaire plus faible pour rester dans l'élite mondiale.
Après la rupture récente de son contrat avec la sélection tricolore, Philippe Bozon se classe donc en quatrième position en termes de longévité à la tête de l’équipe de France (6 ans au total) derrière le recordman Dave Henderson (14 ans), Pete Laliberté (13 ans) et Kjell Larsson (8 ans). C’est désormais son adjoint, Yorick Treille, qui fut entraîneur national des juniors U20, qui aura désormais la lourde charge de prendre en main la destinée de la sélection tricolore avec comme but trois échéances majeures à venir : les Jeux olympiques d’hiver à Cortina en Italie en 2026, puis les championnats du monde à Paris et Lyon en 2028 et enfin les Jeux olympiques d’hiver de 2030 qui seront organisés également en France.