- BREST : BRIEC BOUNOURE EST TOUJOURS LÀ ! - |
Ceux qui s’intéressent à l’histoire du hockey sur glace français gardent forcément en mémoire la grande animation qui a sévi dans notre discipline il y a trente-trois ans. Je veux parler bien entendu de l’arrivée fracassante et très médiatisée en 1990 du légendaire président de club breton
Briec Bounoure dans l’ancienne « Ligue Elite » professionnelle qui dura seulement quatre saisons. Ce personnage hors norme, un brin boutefeu et contestataire, provoqua en effet par ses déclarations publiques de nombreuses vagues « scélérates » non seulement dans la rade de Brest, mais dans l’ensemble de notre discipline. Des remous qui n’empêchèrent pas sa nouvelle équipe professionnelle des « Albatros » de remporter haut la crosse et contre toute attente la
Coupe Magnus à deux reprises en 1996 et 1997.
UN PATRON RÉVOLUTIONNAIRE
En effet, cet ancien directeur général du groupe alimentaire
Doux et de la célèbre marque de volailles
Père Dodu, premier producteur européen, n’hésita pas à « rentrer dans les plumes » des dirigeants du hockey sur glace français qui géraient encore cette nouvelle compétition élite très frileuse et encore amateur qui ne cassait pas à vrai dire trois pattes à un canard.
Ayant un fort tempérament et une grande expérience du management dans une grande entreprise, Briec Bounoure a soudain bousculé les habitudes dans le petit microcosme du hockey sur glace français. Il envoya en quelques mois une série de commentaires percutants comme des Bodychecks bien sentis.
Du coup, avec ses remarques cinglantes sans langue de bois, ses attaques répétées contre le « système », souvent pertinentes et qui dérangeaient surtout lors de plusieurs assemblées générales mémorables de l’ancienne FFSG, il devint rapidement un perturbateur très redouté. Un « empêcheur de patiner en rond » comme le qualifia à l’époque le magazine
Sport et Vie qui lui consacra un reportage. C'est dire si le personnage faisait du bruit. Briec Bounoure se remémore avec le sourire : « J’étais celui qui piétinait les valeurs du sport à la sauce discutable du Baron Coubertin. Je représentais à leurs yeux le sport mercantile ! »
Briec Bounoure
Le président de Brest, qui avait l’impressionnante envergure intellectuelle et managériale à l’image de l’albatros hurleur, reconnut d'ailleurs volontiers, dès son arrivée tonitruante dans le petit milieu du hockey sur glace français, qu’il avait « un petit côté provocateur » ce qui était dans sa bouche un doux euphémisme ! Du coup, il devint rapidement pour le spécialiste du hockey que j’étais au journal L’Equipe ainsi que pour tous mes confrères régionaux, « une mine d’or » pour la presse sportive friande de ses coups de gueule. Mais Briec Bounoure estimait avoir le droit d’être impertinent et moralisateur envers nos anciens dirigeants nationaux grâce à sa grande expérience d’homme d’affaire et surtout son investissement financier personnel très important puisque ce dernier a investi au total à l’époque plus de
500 000 euros de sa poche dans le hockey sur glace français. Et celà en moins de quatre ans !
Avec le recul, j’avoue que je reste encore médusé devant le masochisme et l’incroyable frilosité des dirigeants fédéraux de l’époque qui n’ont pas su profiter de l'occasion et de se rendre compte de
l’incroyable chance d’avoir d’un tel personnage aussi motivé pour investir dans notre sport favori.
UN PRÉSIDENT INCOMPRIS
En effet, dès 1989, Briec Bounoure s’était démené comme un diable pour que le groupe Doux sponsorise dans un premier temps l'équipe du club de Nantes. Mais à Brest, près de la ville où il résidait et où jouèrent ses trois fils,
Fabrice, Gabriel et
Morgan, Briec Bounoure n’hésita pas à jouer également le pompier de service car l'équipe bretonne prenait l'eau de toutes parts, mais toutefois à « ses » conditions.
Ce grand patron afficha d’entrée ses grandes prétentions en devenant donc le
président des Albatros au début de l’année 1990, une arrivée tapageuse qui a fait sourire tous les observateurs, mais pas pour longtemps. En effet, il avait décidé de dire ses quatre vérités à une institution sportive, en l’occurrence l’ancienne FFSG, pour laquelle il n’avait pas une grande considération vu son amateurisme et ses nombreux arrangements au sein de son comité national de hockey qui étaient régulièrement très limites règlementairement.
Car la force de frappe financière et la gestion particulière dont bénéficia dès lors le club de Brest allait révolutionner et bouleverser le nouveau championnat de France élite. D’autant que le personnage était un
véritable passionné de hockey sur glace. C’est ainsi que dans la famille Bounoure « Monsieur » signait désormais les contrats tandis que « Madame » s'occupait du reste. De tout le reste, à savoir : le lavage des maillots, les rendez-vous chez le médecin pour tous les joueurs, les bulletins de salaire, l’achat des équipements, l’organisation des déplacements à l'extérieur...
La passion du hockey sur glace de ce stakhanoviste gagna donc son épouse
Annick Bounoure qui décida de prendre sa retraite anticipée de l'Éducation nationale pour se consacrer entièrement au club de hockey brestois. Sans oublier qu’il aida aussi financièrement beaucoup d’autres clubs !
UN MÉCÈNNE TRÈS GÉNÉREUX
En effet, Briec Bounoure, qui était un visionnaire, certes tatillon et exigeant, mais surtout généreux et foncièrement altruiste, continua effectivement à salarier des hockeyeurs qui jouaient non seulement à Brest et à Nantes, mais aussi à Anglet, à Amiens, à Angers, à Chamonix et à Dunkerque ! « Ma mémoire est maintenant un peu défaillante, mais je crois que j’ai même aidé aussi le club de Grenoble à l’époque » confie-t-il.
Il faut se souvenir qu’il fut également le
sponsor officiel de l’équipe de France. Sans parler qu’au sein de son important groupe alimentaire, il assura la reconversion professionnelle de plusieurs de ses joueurs avant même leurs fins de carrières. Mais surtout, il les aida aussi financièrement pour qu’ils puissent reprendre et mener à terme leurs études sérieuses secondaires et supérieures. Le président Bounoure était résolu de prouver que ses protégés pouvaient mener de front leurs deux tâches.
C’est ainsi que pas moins d’une dizaine de joueurs de renom furent
salariés du Groupe Doux en dehors de la glace : Andrei Wittenberg, Michel Galarneau, André Coté, Kasé Jurek, Olivier Bordas, Frédéric Asselineau, Christophe Gaulmin, Krzysztof Niedzolka, Charles Thillien, André Peloffy, Robert Boileau ou encore Eric Mindjimba. Quant à Patrick Daley, un autre très célèbre international tricolore, il fut envoyé en mission dans l’état de Caroline du sud aux Etats-Unis pour créer une nouvelle filiale du groupe Doux avec André Peloffy et Robert Boileau. Mais d’autres anciens membres de l’équipe de France profitèrent eux-aussi des largesses de ce président mécène comme les trois gardiens vedettes de l’équipe de France Michel Vallière, Fabrice Lhenry et Patrick Rolland, ainsi que le non moins célèbre défenseur tricolore Jean-Philippe Lemoine.
L’équipe senior de Brest fut profondément remaniée après avoir remporté la Coupe Magnus
à deux reprises en 1996 et 1997. Elle dut repartir en Divion 3
Son entreprise fut également une source de revenus non négligeable dans un grand nombre de patinoires françaises sous forme de panneaux ou d’affichages publicitaires ainsi que sur les casques des joueurs tricolores qui arboraient la marque
Père Dodu lors des matches internationaux. Bref, un partenariat tout azimut du groupe Doux qui provoqua paradoxalement de nombreuses
critiques négatives dans le hockey sur glace français car malheureusement, comme dit le proverbe, nul n’est prophète en son pays. Briec Bounoure fut en effet accusé, c’est un comble, de « mercantilisme », alors qu’aux yeux de ce président philosophe, ses aides à caractère philanthropique valaient plus que tous les titres ou toutes les médailles que son équipe senior allait remporter. « D'ailleurs la plupart des joueurs qui sont venus jouer à Brest, à l'époque, considéraient le hockey sur glace comme un simple revenu provisoire car ils se souciaient avant tout de leur avenir professionnel hors de la glace. Et je dois dire qu'aucun d'entre eux ne m'a déçu. » conclu le Président.
UN SABORDAGE SPECTACULAIRE
Voyant que, malgré son important engagement pécunier dans le hockey sur glace français, il était toujours mal aimé et ostracisé, au point d’être considéré presque comme un paria à cause de ses prises de positions publiques intransigeantes, Briec Bounoure, lassé de cette situation, finira par
saborder son équipe élite de hockey sur glace dans le port de Brest en 1997 alors qu'elle venait de remporter un deuxième titre consécutif ! C’est ainsi que son équipe professionnelle quitta brutalement la Ligue Elite (Magnus aujourd’hui) et son généreux mécène breton referma son carnet de chèque. Ce dernier me confia à l’époque avec une émotion non feinte son amertume dans un de mes articles qui parut dans le journal L’Equipe en avouant : «
J’avais un rêve de gosse. Ces imbéciles me l’ont brisé… »
Un cri du cœur poignant qui ne sembla pourtant pas émouvoir outre mesure en haut lieu. « On nous avait promis monts et merveilles, dit aujourd’hui l’ancien PDG de Père Dodu, qui a préféré continuer avec son équipe senior en troisième division. Bernard Goy (président de la Fédération des sports de glace à l’époque) prétendait avoir signé avec la chaîne TF1, via Jean-Claude Darmon, un contrat fabuleux, sur la base d’un championnat élite à huit clubs et sur la foi d’un programme écrit. Pourtant, en 1995, il n’y a eu qu’une seule retransmission télévisée d’une heure diffusée à… 1 heure du matin ! Quant à 1996, il n’y a rien eu du tout. Notre fédération de tutelle, la FFSG, nous avait promis un reversement de 400.000 francs (61 000€) de droits TV par club participant. Ce fut finalement 160.000 francs (25 000€), soit presque trois fois moins, et certains présidents de clubs reçurent des chèques en bois ! »
Si ce célèbre PDG breton prit à l’époque une décision aussi radicale, c’est qu’il n’avait pas eu de son propre aveu « les retombées escomptées sur ses investissements ». Il explique aujourd’hui pourquoi il a été contraint de battre en retraite : « A l’époque la ville de Brest n’a rien compris également sur la portée de notre aventure dans le hockey sur glace local. On a commencé à bloquer notre subvention à un niveau dérisoire de l’ordre de 10 000 à 15 000 euros aujourd’hui ! Estimant qu’on se foutait de nous, j’ai donc retiré notre équipe de l’Elite et on a recommencé du bas avec quelques vétérans. C’est la région de Bretagne qui a beaucoup perdu dans l’affaire en termes d’image sportive. » Des propos très terre-à-terre de l’ancien directeur général du groupe alimentaire Doux pour qui les délices du palet étaient devenus trop amers et indigestes.
UN PURGATOIRE TRÈS HONORABLE
C’est ainsi que depuis maintenant une vingtaine d’années, le club de Brest est rentré dans le rang en quittant la grande « vitrine » de l’élite professionnelle sauf pour un bref retour de deux saisons dans la Ligue Magnus (2002-2003) sans pour autant renoncer à poursuivre un chemin sportif fort honorable à l’étage inférieur. Les Albatros ont en effet remporté d’abord un titre de champion de France en Division 3 en 1999, puis deux titres de champion de France en Division 2 suivront (2003 et 2010) mais aussi trois titres de champion de France en Division 1 (2000, 2013 et 2022).
Briec Bounoure fête le titre de champion de France en 1997 avec l’international Roger Dubé
avant que ce dernier rejoigne ensuite le club d’Amiens.
Sans oublier que le club de Brest en a profité pour mieux se structurer avec l’ouverture en 2002 de la patinoire
Rïnkla Stadium qui fut construite au même endroit que l’ancien « hangar » du quartier Bellevue. Le nouvelle piste fut rénovée en 2021 pour répondre aux normes internationales afin de pouvoir accueillir jusqu'à 1500 spectateurs. A noter que Rinkla vient du mot « rinklañ » qui signifie « glisser » en langue bretonne.
Si cette nouvelle patinoire n’a pas connu les sommets sportifs atteints par les Albatros lorsqu’ils furent sacrés champions de France de l’ancienne « Ligue Elite » en 1996 et 1997, le Rïnkla, dont la construction fut motivée par les résultats retentissants des hockeyeurs bretons à cette époque, a souvent continué à vibrer devant les évolutions de ses patineurs artistiques mais surtout de ses hockeyeurs.
En 2002-2003, à la faveur d’un remaniement des divisions du hockey sur glace français, les Brestois, après cinq saisons dans les divisions inférieures, retrouvèrent donc provisoirement le plus haut niveau hexagonal avant de retourner en Division 1, un championnat jugé plus abordable et plus sécuritaire sur le plan financier.
L’ANNONCE ÉRONNÉE DE SON DÉPART
Contrairement à ce qui avait été annoncé un peu trop prématurément au début de la saison actuelle du championnat de France de la Division 1, le légendaire président du club de Brest
Briec Bounoure, qui détient le record national de longévité parmi ses confrères toujours en activité, puisqu’il est resté à ce poste pendant 30 ans,
n’a pas quitté définitivement son club. Ce dernier le confirme : « Je vais certes fêter bientôt mes 83 ans au mois de janvier prochain, mais je reste directeur général de la SASP Les Albatros de Brest. J’ai simplement changé de poste et laissé la place de président du club professionnel à
Sylvain Jaouen. C’est cet homme d’entreprise qui depuis le mois de septembre 2022 pilote l’équipe, choisit les joueurs et rameute les sponsors. Comme vous le voyez, je reste à ses côtés.
Qu’on se le dise le « vieux », qui a sauvé les meubles à plusieurs reprises en bouchant personnellement les trous à hauteur de
120 000 euros par an depuis le début de l’aventure en 1992, est toujours sur la brèche ! « Comme on dit en politique, dans mon club je continue aux côtés de Sylvain Jaouen et ses cadres à jouer le rôle de l’idiot utile car il en faut bien un pour passer la serpillère, surtout maintenant que je suis par ailleurs désencombré de tout ! »
Une modestie qui honore cet ancien professeur de khâgne au lycée Kerichen (classes préparatoires littéraires), qui fut aussi, rien moins, que membre du jury d’agrégation de philosophie, conseiller en recrutement et, accessoirement, ancien marin pêcheur et chauffeur-livreur... Peu de présidents de clubs de hockey sur glace peuvent se prévaloir d’avoir eu une vie aussi riche intellectuellement et un tel curriculum vitae ! D’autant que
Briec Bounoure reste un retraité très actif puisque dans la vie professionnelle hors du sport, il est le directeur général d’un groupement de sociétés
Score-Lechef-Premium DKBB et associés qui compte au total 350 salariés et génère 95 millions de chiffre d’affaire.
Pour l’anecdote, le « dinosaure » du hockey sur glace français, avec ses 30 ans de présidence à Brest, se trouve en deuxième position derrière le légendaire Jacques Lacarrière qui fut président des Français Volants de Paris pendant 42 ans (1933-1975) mais devance Thierry Chaix qui est toujours le président de Rouen depuis 26 ans (1997 à nos jours).
Il faut reconnaitre que le hockey sur glace du pays bigouden aurait bien tort de se priver actuellement d’un tel dirigeant charismatique comme Briec Bounoure à l’heure où l’équipe senior de Brest évolue en Division 1 avec une vision à long terme sous la direction d’un nouveau coach, le finlandais
Tommy Flink. Le club, qui reste la grande passion du patriarche, a par ailleurs engagé depuis un an et demi
Nathan Wattebled pour la SASP Les Albatros où il est en charge du sponsoring et de la communication.
J’ajoute que la présidente du club amateur breton,
Isabelle Mer, n’est pas elle aussi une inconnue dans notre sport, bien que beaucoup plus jeune, puisqu’elle est actuellement membre du Comité directeur de la FFHG chargée de la commission féminine. Mais, qu’on se le dise, à Brest, malgré son âge et sa très longue carrière de dirigeant, on a enterré un peu trop vite Briec Bounoure car malgré un retrait volontaire en coulisses,
il reste toujours là !