GAP PEUT-IL ENCORE RÊVER EN LIGUE MAGNUS ? |
Pour ceux qui l’ignorent, en anglais le mot
Gap signifie « écart », « espace » ou encore « fossé ». Vu l’évolution à laquelle j’assiste depuis cinq saisons maintenant dans le championnat de France de la Ligue Synerglace Magnus, je trouve que cette traduction littérale convient parfaitement à la situation actuelle du club de la préfecture du département des Hautes-Alpes.
En effet, c’est bien un
écart important qui s’est creusé et qui pénalise désormais le club de Gap au profit de certains de ses adversaires devenus beaucoup plus forts financièrement et structurellement comme Rouen, Grenoble ou encore Angers. Cet handicap, qui concerne aussi dans les Hautes-Alpes son voisin de Briançon, est-il devenu inéluctable ?
Il faut se rendre à l’évidence, les deux derniers titres de champion de France que le club de Gap a remporté en
2015 et
2017, avec la complicité du coach italo-canadien Luciano Basile, me font penser que ce furent malheureusement un
ultime bouquet final. Ce double sacre fut en quelque sorte à mon avis un baroud d’honneur. Une apothéose éphémère qui a salué à juste raison l’ensemble de l’œuvre réalisée par les « Rapaces » depuis l’arrivée du club de Gap dans l’élite nationale en 1964 lorsque le championnat de France senior s’appelait encore « Première Série ».
Le seul avantage qui me donne encore un peu d’espoir concernant le club phare de la ville de Gap, c’est
l’incroyable passion et la fidélité indestructible de ses supporters. Pour eux, le hockey sur glace est devenu depuis longtemps une véritable religion. Malheureusement, cet enthousiasme régional, qui transforme à chaque fois l’
Alp’Arena en chapelle ardente et fait trembler le sous-sol du quartier de la Blache, ne peut malheureusement pas faire oublier la dure réalité sportive. La domination hégémonique des clubs alpins, ce qui fut le cas il y a 40 ans, n’est plus la réalité aujourd’hui.
Les hockeyeurs et les dirigeants du club de Gap, accrochés à leur passé glorieux, continuent à poursuivre malgré tout un rêve qui me semble chimérique. N’est-il pas trop irréaliste ? Leur quête, aussi honorable soit-elle, n’est-elle pas irrémédiablement vouée à l’échec car trop coûteuse ? La passion de tous les acteurs du club haut-alpin, qu’il ne faut surtout pas mésestimer, n’est-elle pas trop dévorante au point de leur faire perdre le sens des réalités ? Voilà les questions que je me pose concernant le cas du club de Gap.
Le regretté
Zdenek Blaha, que j’ai eu l’occasion d’honorer au nom de la fédération en 2019 en compagnie du président de Gap Jérôme Escallier après son élection au Temple de la Renommée (photo ci-dessus), doit se retourner dans sa tombe devant cette régression sportive indiscutable alors que le Tchèque a voué la fin de sa vie à ce club au point d’y être enterré. Tout comme son célèbre prédécesseur, le canadien Camil Gélinas, qui forma également de très nombreux hockeyeurs de Gap devenus pour certains des membres de toutes les équipes de France. Christian Pouget ou Thierry Chaix peuvent en témoigner ! Leurs successeurs comme Teddy Trabichet, Loïc Chapelier, Kévin Da Costa, Sébastien Rohat ou Paul Schmitt qui ont remporté la Coupe Magnus en 2015 doivent regretter cette période encore faste.
Sans parler des autres coaches, encore spectateurs aujourd’hui de cette triste situation comme Robert Oprandi, Charles Libermann, Daniel Galland, Philippe Combe, Bruno Saunier, Franck Lallemand ou encore Alain Pivron qui font partie de la longue liste non exhaustive des anciens entraîneurs gapençais.
UN COACH QUI A DÛ SAUVER LES MEUBLES
Sébastien Oprandi, le manager général actuel, devenu coach par intérim après le remplacement d’Eric Blais, a reconnu implicitement cet état de fait après le maintien obtenu in extrémis à domicile face à Briançon son voisin des Hautes-Alpes sur le score de 5-3. « La pression emmagasinée depuis des mois est retombée après notre victoire décisive à domicile contre Briançon à une journée seulement de la fin de la poule de maintien. Ce fut une fierté de relever un défi qui était loin d’être gagné d’avance. Mais, en même temps, ce fut un sentiment contrasté car nous étions avant derniers et donc
il n’y a rien de flatteur là-dedans. Du coup, nous n’avons pas fêté particulièrement notre maintien. A la fin du match nos nerfs ont lâché à l’image de notre capitaine Romain Gutierrez qui n’a pu retenir ses larmes à la zone de presse car nous étions tous dans le même état de stress. Même les finales que nous avons disputé dans la Ligue Magnus contre Epinal en 2015 et contre Rouen en 2017, ne furent pas aussi violentes émotionnellement. »
Sébastien Oprandi garde quand même espoir mais il analyse également le contexte de son club avec une grande lucidité : « C’est un grand soulagement pour le club de Gap de se maintenir car il mérite de rester encore à ce niveau-là. Il y avait des signes avant-coureurs quand tout allait bien, mais nous n’avons pas voulu les voir. Mais désormais il ne faut plus les ignorer. On a été entrainé dans une vague de problème qu’il a été compliqué d’enrayer. Ce n’est un secret pour personne que le hockey haut-alpin éprouve des difficultés depuis déjà plusieurs années. Notre patinoire, l’Alp Aréna, n’est plus vraiment récente par rapport à des clubs comme Chamonix et Nice qui ont de beaux projets de construction sans oublier la patinoire d’Angers qui est récente. Forcément, ça augmente l’opposition des autres clubs donc il ne faut pas s’endormir même si l’Alp’Aréna a été une formidable chance pour pouvoir trouver un budget capable d’évoluer dans la Ligue Magnus. Mais maintenant
ça ne suffit plus. » En effet, le club de Gap ne peut plus s’endormir sur ses lauriers car le temps de la tradition sportive locale dominatrice est bel et bien révolue à présent.
UN PRÉSIDENT QUI SE SENT DÉMUNI
Lors d’une interview accordée également sur la chaîne locale de BFM TV par
Jérôme Escallier, le président des Rapaces n’a pas utilisé la langue de bois et a fait part de la même résignation que son manager. Pour lui, les années fastes du club de Gap sont bel et bien terminées. Tout au moins en ce qui concerne les résultats de son équipe professionnelle qui évolue dans la Ligue Synerglace Magnus.
« Notre budget reste stable et n’évolue pas contrairement à ceux des autres clubs de la Ligue Magnus, a-t-il regretté. On a pu continuer à jouer positivement les saisons passées car toutes les planètes se sont alignées mais ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Le problème n’est pas uniquement le niveau de notre jeu, mais aussi l’extra-hockey. Il y a eu pleins d’événements autour et dans notre équipe qui font que les astres ne sont plus alignés.
Le club est à la ramasse (SIC). Nous avons seulement quatre permanents pour faire tourner le club administrativement quand ils sont peut-être dix ou douze à Grenoble pour faire la même chose ! En plus, nos employés sont mal payés. Du coup, il y a 80 % de passion et 20 % de travail. On a actuellement quasiment 600 000 euros venant de notre centaine de partenaires privés. Aujourd’hui notre ferveur locale pour le hockey sur glace
ne suffit plus. Paradoxalement, on paye aujourd’hui nos réussites passées. Nous n’avons pas des robots sur la glace mais des êtres humains ! Mais je vous garantie que si nous n’avions pas remporté nos deux derniers titres de champion de France, en 2015 et 2017, le club des Rapaces ne serait plus là aujourd’hui ! Pour moi, nous sommes dans une ville qui, au niveau de ses subventions, n’a plus les moyens de se payer un club en Ligue Magnus qui soit capable de jouer encore dans le top quatre. »
DES PRÉTENTIONS REVUES À LA BAISSE
Le président Jérôme Escallier poursuit l’analyse des problèmes difficiles rencontrés actuellement par le club de Gap en gardant toujours au fond de lui une lueur d’espoir : « Vu notre réputation passée, on nous attend toujours au sommet de la Ligue Magnus. Malheureusement, ce n’est pas notre réalité économique liée au sport. J’ai la chance depuis ma treizième saison de président d’avoir toujours fait jusqu’ici les play-offs. Mais disputer la poule de maintien ce n’est pas une honte ! Regardez l’exemple de l’Olympique Lyonnais en foot, il a été en haut de l’affiche et aujourd’hui il est dans les derniers, ce sont des choses qui arrivent. Il faut juste s’outiller et s’armer pour pouvoir sortir indemne de ces saisons-là. Pour moi l’avenir du hockey sur glace haut-alpin, il passe par un centre de formation. Aujourd’hui, on aura plus un seul jeune joueur qui restera à Gap. Or, cela représente un énorme investissement de 120 000 euros que forcément on ne peut pas mettre sur l’équipe première. »
Toujours avec une franchise qui l’honore, Sébastien Oprandi, qui a visiblement hérité du caractère de son père Robert Oprandi, (ancien hockeyeur défenseur tricolore très célèbre à l’époque), ne cache pas lui aussi son grand désarroi. Il n’a pu s’empêcher de s’emporter lors d’une interview télévisée récente : « Si Gap veut être un club de haut niveau, il faut s’en donner les moyens. On est encore un putain de club amateur ! (SIC) Ce serait bien que les gens à la tête du club et à la tête des moyens économiques s’en rendent compte. Il y a eu plusieurs burn-out parmi les joueurs de l’équipe cette saison. Je tiens à souligner que malgré notre situation très difficile, le soutien de nos supporters a été incroyable. J’ai en mémoire que lorsque l’on perd 3-0 pendant notre dernier match de la saison régulière à domicile contre Nice, ils étaient encore là à nous pousser alors que nous étions honteux. Certains membres de l’entourage du staff et des joueurs avaient du mal à venir à la patinoire tellement c’était dur psychologiquement. J’ai dû remplacer au pied-levé Eric Blais comme coach, mais ce n’est pas ma vocation car ce n’était pas du tout dans les plans même si c’est un rôle que j’ai déjà eu l’occasion d’avoir dans le passé. »
UN CAPITAINE TRES ÉMOTIF
Romain Guttierez, capitaine international des Rapaces de Gap (31 ans), qui avait joué également à Rouen, Dijon et Epinal, et qui venait de rempiler pour une septième saison ne peut se résoudre lui-aussi au déclin annoncé du grand club des Hautes-Alpes. « Je tiens à remercier nos supporters pour leur soutien malgré l’adversité. Sur vingt-deux matches à domicile, on a joué
quinze ou seize à guichets fermés. Je crois que c’est un record pour Gap ! Nous avons été soutenus tout au long de la saison. Malgré la crise qui nous a secoué, nous sommes restés tous unis. Je crois que c’est ce qui fait la force de Gap d’être un club familial uni et travailleur en même temps. Pour récompenser à la fois notre groupe et nos supporters, nous voulions finir en beauté avec un sauvetage du club. Nous avons réussi juste lors de l’avant dernière journée de la poule de maintien dans un climat de tension insoutenable ce qui explique mes larmes à la fin comme celles de beaucoup de mes coéquipiers. »
Je tiens à saluer le rôle important de ce valeureux capitaine charismatique comme ce fut le cas par le passé de certains de ses prédécesseurs comme par exemple Peter Almasy, Franck Lallemand, Romain Moussier ou Teddy Trabichet.
LA COUR DES COMPTES N’EST PAS TENDRE
Un autre événement inattendu est venu semer encore le trouble dans la ville des Hautes-Alpes avec la publication récente - le 24 janvier 2024 - d’un rapport de la Cour des comptes concernant le club de hockey sur glace de Gap. Dans ce compte-rendu on peut lire que : « La société anonyme sportive professionnelle (SASP) Les Rapaces de Gap créée en 2016, peine à équilibrer ses comptes et reste dépendante des subventions des collectivités territoriales. » Par ailleurs le document indique que : « L’organisme souffre d’une sous-administration persistante avec absence de réunion du conseil d’administration, tenue incomplète du registre des assemblées générales et cession irrégulière d’actions. »
Pour enfoncer la crosse dans la plaie il est dit que : « Des irrégularités dans les relations de la société avec les collectivités territoriales et l’association support sont par ailleurs relevées. » Enfin, la synthèse du rapport indique que : « La société souffre d’une sous-administration persistante comme en attestent l’absence de réunion du conseil d’administration, la tenue incomplète du registre des assemblées générales, la cession irrégulière d’actions, ou encore l’absence de réunion de l’assemblée après le constat de capitaux propres négatifs à la clôture annuelle des comptes. »
Autre constatation notée par la cour des comptes : « La SASP du hockey occupe sans convention et sans redevance, donc irrégulièrement le stade de glace Alp’Arena de Gap, propriété de la commune. Elle perçoit en outre des subventions en-dehors du financement de missions d’intérêt général ce qui est contraire, en sa qualité de société sportive, aux dispositions du code du sport. »
Concernant le problème de la patinoire de Gap, le président Jérôme Escallier répond en expliquant : « Pour l’utilisation de l’Alp’Arena, nous avions une dotation de la mairie qui s’élevait à un peu plus de 100 000 euros. Mais la municipalité l’a supprimée et donc le club ne s’occupait plus de ce dossier qui était directement pris en charge par la mairie. Du coup, à la suite de ce rapport, nous sommes en train de signer une nouvelle convention avec la ville pour régulariser la situation. »
QUAND L’ÉLÈVE DÉPASSE LE MAÎTRE
Pour conclure, voici la preuve à mon avis la plus révélatrice de la régression indiscutable du club de Gap cette saison sur le plan sportif. En effet, si les Rapaces de Gap ont terminé le championnat de la Ligue Magnus à une très décevante onzième place qui ne correspondait plus à leur standing habituel, en revanche, les Spartiates de Marseille, qui étaient pourtant les nouveaux promus, ont réussi la performance de se classer en cinquième position à l’issue de la saison régulière. Le comble, ce fut en battant notamment l’équipe de Gap à trois reprises sur les scores de 4-0, 2-1 et 3-2. Au regard de l’histoire de la Ligue Magnus ce fut un véritable crime de lèse-majesté !
Car, je rappelle qu’au mois de septembre 2011, le Palais Omnisports Marseille Grand Est (POMGE) devint une grande attraction pour les fans locaux de hockey sur glace en assistant à plusieurs matches de haut niveau qui n’étaient pas prévus au programme. En effet, en raison de travaux très importants effectués à l’époque dans la patinoire de Gap, les « Rapaces » qui évoluaient encore avec brio dans la Ligue Magnus, sont venus assurer momentanément le spectacle dans la cité phocéenne.
Cette opération de délocalisation provisoire à Marseille, qui permit donc au public des Bouches-du-Rhône d’assister à plusieurs matches de la Ligue Magnus, fut l’occasion de passer plus tard un partenariat sportif pour pouvoir renforcer l’équipe senior de Marseille qui évoluait encore en Division 3. C’est ainsi qu’un grand nombre de ses joueurs étaient en fait des juniors de Gap tout comme l’entraîneur, Jean-Michel Bortino, qui est venu également prêter main forte.
« Il faut savoir qu’en raison des accords qui existent entre les clubs de Marseille et de Gap, nous avons affronté quasiment l’effectif des Juniors Elite de Gap, expliqua à l’époque sur un ton résigné Raphaël Facchini, le manager du club voisin d’Aubagne. Il ajouta d’un ton plus perfide : « Donc en fait, on a joué contre deux Marseillais et quatorze Gapençais… »
J’ajoute qu’en 2014, dans la compétition de la Coupe de France, après un premier succès probant contre Orcières (victoire 7-1), un tirage défavorable allait voir les Spartiates s'incliner très lourdement au deuxième tour face aux Rapaces de Gap titulaires de la Ligue Magnus sur le score très humiliant de 14-0.
On notera enfin qu’en 2016, le nouveau président provisoire du club de Marseille, Alain Anglés (prédécesseur de Jonathan Zwikel), fut un ancien dirigeant des Rapaces de Gap pendant treize ans puis des Griffes de l’Ours d’Orcières-Merlette. Bref, comme on le voit désormais, l’élève a dépassé le maître !
ÇA BOUGE AUSSI À BRIANÇON
L’autre club phare du département des Hautes Alpes, celui de
Briançon, a fini dernier du classement de la Ligue Magnus cette saison pour la quatrième année consécutive et s’est donc incliné face à son voisin de Gap lors de l’avant dernière journée de la poule de maintien. Du coup, ses chances de pouvoir se maintenir dans la division d'élite n'ont jamais été aussi minces. Conséquence de ces mauvais résultats sportifs, le président du club de Briançon,
Guillaume Lebigot (Chalets Bayrou), a annoncé sa démission.
Il sera donc remplacé désormais par
Pascal Courty (Team Moto Quad), chef d’entreprise Briançonnais, qui fait partie des cinq actionnaires majoritaires du club aux côtés de Philippe Hamon (McDonald's à Briançon), Luc Rougny (France Boissons-La Tourmente) et Pierre Roman (Eden Bar). J’avais déjà anticipé ce changement au mois de février dernier dans ma précédente
Tribune Libre numéro 82 intitulée «
Briançon : agonie ou simple passage à vide ? »
Reste à savoir maintenant si ces deux anciens fiefs importants du hockey sur glace français, en perte de vitesse notable dans la hiérarchie nationale, choisiront de fusionner pour mieux lutter comme certains le souhaitent, ou évolueront séparément en Magnus et dans la Division 1 comme c’est la solution qui semble la plus probable.