A l’heure où se déroulent les Jeux olympiques d’hiver à Pékin, un souvenir me revient en mémoire car il m’a beaucoup marqué. C’est la terrible aventure que l’ancien hockeyeur franco-américain
Eric LeMarque a vécu en 2004, il y a donc maintenant dix-huit ans. Si ces J.O. en Chine provoquent en moi cette réminiscence, c’est parce que l’ancien tricolore a laissé son empreinte dans l’histoire du hockey français en disputant notamment avec l’équipe de France les Jeux olympiques d’hiver organisés en 1994 à
Lillehammer.
Portant le numéro 18 dans la sélection tricolore, Eric LeMarque jouait à l’époque sur la même ligne d’attaque avec Benoît Laporte et Pierrick Maia. Pour l’anecdote, c’est Eric LeMarque qui fut l’auteur de
l’unique but français lorsque la Suède, future championne olympique, balaya la France sur le score sans appel de 7-1. Mais si je garde un souvenir aussi marquant concernant Eric LeMarque, c’est surtout à cause du grave accident dont il fut victime dix ans plus tard puisque l’ancien tricolore échappa miraculeusement à la mort !
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Eric LeMarque, deux livres ont raconté son incroyable histoire. |
Avant de rappeler son destin incroyable, il faut se souvenir que lors de son séjour en France qui dura six ans - de 1990 à 1996 - Eric LeMarque a d’abord disputé une première saison en Ligue Magnus avec le club de
Briançon où se trouvait son compatriote Dennis Murphy (capitaine) avant de retourner très brièvement aux Etats-Unis pour donner un coup de main aux Monarques de
Greensboro en Caroline du nord. Mais Eric LeMarque décida de retourner rapidement dans l’hexagone pour jouer pendant un an en Division 1 à
Valenciennes, avant de retrouver rapidement l’élite et d’être remarqué lors des deux saisons successives qu’il passa à nouveau dans la Ligue Magnus avec le club de
Rouen.
Ce sympathique attaquant, né à West Hills, un quartier de Los Angeles, avait été drafté en 1987 par les Bruins de Boston dans la NHL (8
e tour et 224
e position), toutefois il ne joua jamais dans la ligue professionnelle. Venu tenter sa chance en Europe, Eric LeMarque profita donc de son séjour à Rouen pour remporter à deux reprises la
Coupe Magnus avec les Dragons normands en 1994 et en 1995. De plus, en décidant de rejoindre ensuite le club de
Brest juste après ce double sacre, son choix s’avéra très judicieux puisque Eric LeMarque ajouta dans la foulée un
troisième titre de champion de France à son palmarès en 1996.
Ayant la double nationalité grâce à son père qui est français, Eric LeMarque (dont le nom fut momentanément « francisé » sur son maillot en transformant le
M majuscule en minuscule) fut sélectionné pour la première fois en équipe de France par l’entraîneur national de l’époque, le suédois Kjell Larsson. Du coup, il défendit nos couleurs en participant non seulement aux
Jeux Olympiques de Lillehammer au mois de février 1994, mais également aux
Championnats du monde qui suivirent juste après à
Canazei en Italie en formant cette fois une ligne d’attaque avec Franck Pajonkowski et Arnaud Briand. L’ailier franco-américain porta une troisième fois le maillot tricolore en 1995 pendant les
Championnat du monde organisés cette fois à
Stockholm en Suède.
Eric LeMarque décida ensuite de quitter définitivement la France pour aller tenter une nouvelle expérience en Allemagne dans le club de
Pfaffenhofen qui évoluait en deuxième ligue. Puis, il acheva sa carrière chez lui aux Etats-Unis en disputant la saison 1998-1999 avec les
Glaciercats de l’Arkansas en Western Professional Hockey League. A noter que cette ligue, également désignée par le sigle
WPHL, était une ligue professionnelle américaine qui a été très éphémère puisque fondée en 1996, elle disparut cinq ans plus tard en 2001.
La petite notoriété que Eric LeMarque avait obtenu dans le hockey sur glace, principalement lors de son séjour en France, aurait dû logiquement s’estomper petit à petit après sa retraite sportive. C’était sans compter sur un incroyable et terrible coup du sort dont il fut le héros involontaire qui fit la une de l’actualité et qui faillit lui être fatal…
Lorsqu’il raccrocha ses patins Eric LeMarque obtint un emploi dans une entreprise d'articles de sport. Mais sans la routine et l'excitation du hockey, il trouva malheureusement d'autres dérivatifs plus ou moins recommandables pour se « défoncer » hors de la glace. Notamment en prenant des drogues comme de la méthamphétamine appelé aussi le Crystal Meth, un des plus puissants psychostimulants. « Cela m'a fait me sentir euphorique, m'a donné une incroyable poussée d'énergie, une incroyable élévation et un high, raconta-t-il. Mais la méthamphétamine a affecté rapidement mon jugement. Je me suis isolé de ma famille, de mes amis et j'ai fait mon propre truc quand je le voulais, comme je le voulais, rien d'autre ne comptait plus que moi. »
Fort heureusement Eric LeMarque a réussi à s’en sortir et a développé une autre dépendance théoriquement beaucoup moins destructive et plus positive si on n’exagère pas son utilisation. Comme il l'expliqua : « Le
snowboard est devenu ma nouvelle passion sportive. C'est une discipline très ludique que je vivais à fond et pour laquelle je suis devenu très égoïste au point que j'étais prêt à sacrifier ma production dans mon travail. Ce qui m’est arrivé avec ce nouveau passe-temps, à première vue sympa à pratiquer, m’a fait très mal, mais il m’a aussi permis de voir désormais la vie différemment. Ce fut un mal pour un bien. Certes très douloureux, mais que je considère désormais avec philosophie. »
En effet, au mois de février 2004, l’ancien Tricolore, âgé alors de 34 ans, devint l’acteur involontaire d’un fait divers incroyable qui allait
bouleverser sa vie et avoir un retentissement énorme dans tous les médias des Etats-Unis. Lors de cet hiver mémorable Eric LeMarque échappa de justesse à la mort après avoir passé presque une semaine entière tout seul perdu en pleine montagne. Le Franco-américain avait décidé d'ignorer les avertissements d’une patrouille de ski et il voulut effectuer une dernière descente hors-piste alors qu’une forte tempête de neige était annoncée.
Au lieu de descendre le versant de la montagne où se trouvaient les pistes damées et balisées, il fit le mauvais choix en empruntant l'autre versant qui comportait de la neige non tracée. Prisonnier involontaire de la nuit et du brouillard qui le prirent subitement au dépourvu, Eric LeMarque se perdit dans l’immensité de la Sierra Nevada, un massif montagneux situé à l’est de l’état du Nevada, en s’aventurant hors-piste de façon totalement inconsciente pour faire du
snowboard.
Complètement isolé et déboussolé dans la neige abondante et le froid glacial, à plus de 500 kilomètres au nord de Los Angeles, il fut incapable de retrouver son chemin qui devait le conduire normalement vers la station de ski de
Mammoth Moutain un sommet culminant à 3369 mètres. Dans l’impossibilité de retrouver seul son chemin, Eric LeMarque s’aventura au hasard et il ne fut retrouvé que
six jours plus tard errant à bout de force dans les montagnes qu’il avait continué à arpenter péniblement à une altitude moyenne de 2500 mètres en utilisant un signal radio de son MP3 pensant qu’il allait ainsi pouvoir retrouver sa route.
Ce n’est que le
vendredi 13 février 2004 qu’un secouriste, qui s’appelait Joe Rousek, retrouva enfin la trace de l’infortuné franco-américain en le survolant avec un hélicoptère Black Hawk. Le numéro 13 - date de son sauvetage - fut donc vrai un porte-bonheur pour Eric LeMarque puisqu’il le portait déjà sur son maillot de hockey quand il jouait à Briançon et à Brest ! « C’est incroyable qu’il ait pu survivre dans ce froid », confia à l’époque son sauveteur. Comme il le raconta plus tard, si l’ancien Tricolore parvint à rester en vie, c’est parce qu’il se réfugia la nuit dans un tronc d’arbre ou il construisit un igloo à l’aide de son snowboard tout en se nourrissant d’écorces, de pommes et d’épines de pin. Malheureusement, souffrant de déshydratation, d’hypothermie, du mal de l’altitude et surtout d’engelures graves, il dût être
amputé de ses deux pieds dix jours après son sauvetage.
Eric LeMarque commit en effet une erreur fatale lors de son départ en randonnée en ne prenant avec lui
aucune ration de nourriture pour manger et
aucune boisson, mais juste un téléphone portable avec une batterie presque épuisée (qui de toute façon ne captait pas) et, surtout, en ne mettant pas de
chaussettes car il avait une seule paire qui était encore trempée de la veille !
« Dès le deuxième jour, j’ai réalisé que j’allais perdre l’usage de mes pieds car ils étaient devenus violets et je ne sentais plus rien, raconta Eric LeMarque. Pour m’aider à survivre, je me suis dit : je ne vais quand même pas laisser mes parents m’enterrer… Dans un sens, j’ai eu de la chance. J’ai essayé d’allumer un feu le premier jour en déchirant un morceau de mon T-shirt et de ma casquette que j’ai mélangé avec des brindilles pour les faire flamber dans l’espoir d’attirer l’attention d’une patrouille en ski mais les allumettes que j’avais dans mon sac étaient mouillées et inutilisables ! A un moment, j’ai vu des loups s’approcher dangereusement de moi. Je les ai fait fuir en criant très fort et en faisant de grands gestes qui, heureusement, les ont effrayé. »
Le Docteur Grossman qui soigna l’ex-hockeyeur tricolore à l’hôpital de Sherman Oaks après son sauvetage, ne cacha pas son admiration : « Eric est vraiment un type remarquable. Il a fait preuve d’un courage et d’une ingéniosité hors normes pour survivre dans des conditions aussi difficiles. » En effet, pour se reposer la nuit, tout en se protégeant le mieux possible du froid, Eric LeMarque expliqua qu’il mit son visage et ses mains gantées à l’intérieur de son blouson mais pendant la nuit l’ex-hockeyeur faillit s’étouffer. « J’inspirais ma propre respiration donc essentiellement du dioxyde de carbone. J’ai dû faire en sorte de retrouver mon souffle par une petite ouverture. »
Mais l’incroyable odyssée du Franco-américain ne s’arrêta pas là ! Le jour suivant, il traversa un torrent et trouva une boîte de conserve qu’il découpa en morceaux. Il a ensuite épinglé ces morceaux sur son blouson afin que le métal se reflète au soleil et le rende plus facile à repérer d’en haut. « A ce moment-là la seule chose à laquelle je pensais c’était de plonger dans un jacuzzi bien chaud et de boire un coca-cola ! », dit-il. Profitant du soleil, il accrocha ensuite ses vêtements sur les branches d’un arbre pour les faire sécher s’apercevant alors que la peau s’était détachée de ses deux pieds entièrement gelés qui étaient devenus tout noirs. « J’ai refusé de me focaliser sur mes blessures. La seule chose qui m’importait à ce moment-là, c’était de rester en vie et de me sortir de là ».
Au fur et à mesure que les jours passaient son calvaire ne fit qu’empirer car des
éruptions cutanées apparurent sur plusieurs parties de son corps à cause de la sueur et des frottements. La veille de son sauvetage, il passa toute la journée à dormir dans la neige pour éviter un épuisement total qui lui aurait été fatal. Eric LeMarque dut en fait son salut à la mobilisation de son père Philippe et de sa belle-mère Stella qui, n’ayant toujours pas de ses nouvelles au bout de cinq jours, quittèrent Los Angeles dans la nuit du 11 au 12 février 2004 pour se rendre sur place et alerter les secours.
Lorsque Eric LeMarque vit enfin arriver l’hélicoptère, la première phrase que l’ex-international français dit à son sauveteur fut qu’il voulait prendre simplement un bain bien chaud… « Cette aventure a été la plus grande expérience de ma vie même si elle m’a coûté très cher en perdant mes deux pieds. Cette épreuve m’a beaucoup rapproché de mes parents divorcés. Vous allez trouver ça dérisoire mais l’arrivée au-dessus de moi de cet hélicoptère est un souvenir que je n’oublierai jamais car sans lui, mon père Philippe et ma mère Susan ne m’auraient jamais revu vivant. »
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Eric LeMarque devant l’affiche du film inspiré de son aventure. |
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Plusieurs mois après sa malheureuse aventure dont il sortit toutefois sauf, Eric LeMarque a réussi à remarcher tout seul avec l’aide de prothèses. En dépit de son handicap, l’ex-international français s’estima finalement chanceux : « Au début, les médecins pensaient que je pouvais perdre également une partie de mon visage car il était brûlé également par le froid et couvert de croûtes. » Finalement, Eric LeMarque apprit à maîtriser ses prothèses de jambes dès le premier jour de leur fixation stupéfiant tout le monde par sa faculté d’adaptation. Il voulut ainsi conjurer le sort
en refaisant du snowboard avec des dispositifs spéciaux pour les handicapés donnant ainsi à nouveau un formidable exemple de courage.
Au mois de juin 2004, soit quatre mois seulement après sa terrible aventure, Eric LeMarque, devenu une vedette des médias, épousa sa compagne
Sheri Van Den Eikhof pour fonder une famille puis il voyagea à travers les Etats-Unis afin de faire partager son témoignage avec des jeunes athlètes et leur donner une plus grande motivation à leurs vies sportives. Il faut dire que son histoire incroyable fut largement relatée par les médias américains toujours très friands de ce genre d’aventure extraordinaire, notamment dans le célèbre magazine
Newsweek qui lui consacra un article intitulé « How Eric saved his own life » autrement dit « Comment Eric sauva sa propre vie ».
Son odyssée, qui a fasciné le grand public outre-Atlantique, fut ensuite relatée en détail dans un premier livre intitulé
« Stranded in the snow ! » que l’on peut traduire par « Echoué dans la neige ! ». Cet ouvrage, écrit par Tim O’Shei, fut publié au mois d’avril 2007 et connut un grand succès littéraire aux Etats-Unis. Un deuxième livre le concernant, intitulé
« Crystal Clear » écrit avec Davin Seay qui était plus axé sur la promotion de son psychisme de battant, renforça encore sa popularité.
A tel point que l’incroyable destin de notre miraculé tricolore, âgé aujourd’hui de 53 ans, a été ensuite le sujet principal d’un film réalisé par Scott Waugh qui est sorti dans les salles de cinéma en 2017.
Ce long métrage raconte ses six jours de survie (interprété par l’acteur Josh Hartnett) ce qui explique son titre
« 6 Below : Miracle on the Mountain ». Comme on peut le voir sur la photo en illustration Eric LeMarque pose devant l’affiche de ce film qui raconte son incroyable sauvetage. Le sous-titre « Never lose hope » reprend la phrase que prononce désormais systématiquement l’ancien tricolore à tous les lecteurs et les admirateurs qu’il rencontre : « Ne jamais perdre espoir ! ».