Lorsque j’ai eu l’idée de faire fabriquer la Coupe Magnus, il a fallu que je mène
un véritable combat pour imposer ce nouveau trophée dans le hockey sur glace français. A l’époque, j’avais demandé aux dirigeants fédéraux de me recevoir dans le but de rendre la coupe officielle. Lors d’une réunion décentralisée du Comité National de Hockey (CNHG) qui se déroula en 1982 dans la patinoire Charlemagne de Lyon, j’ai eu l’autorisation de leur présenter ce nouveau trophée très spectaculaire. A ma grande surprise, ces dirigeants, au lieu de me féliciter de mon initiative, se sont montrés pour la plupart sceptiques et m’ont finalement laissé sans réponse en me disant sans ménagement pour conclure la discussion :
« C’est un gadget sans aucun intérêt ». De plus, ils me reprochèrent les 10 000 francs que j’avais investi pour sa fabrication, soit l’équivalent de 1525 euros…
Quand je leur ai rétorqué que c’était gratuit pour la fédération puisque j’avais pu financer personnellement ce projet grâce à une contribution de tous les présidents de la Nationale A (future Ligue Magnus), ils me répondirent que j’avais eu tort de faire dépenser de l’argent aux clubs pour fabriquer
« un objet sans réelle valeur…».
Je suis donc reparti de Lyon avec la coupe dans le coffre de ma voiture et un sentiment d’incompréhension total. Mais, loin de me décourager, j’ai décidé de continuer à me battre pour parvenir à imposer ce nouveau trophée auquel je croyais.
Pour atteindre ce but, j’ai utilisé
deux armes imparables que j’avais à ma disposition à l’époque. D’une part l’impact important de mes articles qui étaient publiés presque tous les jours dans le journal L’Equipe. Ce média sportif national, d’une très grande audience, allait me servir en quelque sorte de « levier » pour convaincre les plus réfractaires. D’autre part, j’ai profité de mes nombreux déplacements privés dans les clubs pour faire découvrir cette nouvelle coupe très originale et en faire la promotion. Bref, pendant plusieurs mois j’ai pris ma voiture personnelle et mon bâton de pèlerin…
Dans mes articles du journal L’Equipe, qui étaient lus par un très grand nombre de fans de hockey (il n’y avait pas encore internet), je faisais régulièrement et volontairement des références directes à la coupe en posant à plusieurs reprises la question : « qui va remporter la Coupe Magnus ? » Ou encore en utilisant des titres en forme de jeu de mots évocateurs du genre : « Une finale Magnus…fique ! ». C’est en répétant ces allusions à ce nouveau trophée que j’ai réussi à familiariser peu à peu la Coupe Magnus auprès de tous mes lecteurs passionnés de hockey. Malgré cela, les élus fédéraux, toujours réfractaires, continuèrent à faire de la résistance…
En effet, lorsque le regretté Henri Lafit devint président du CNHG en 1984, je lui ai expliqué avec amertume que je gardais toujours la coupe
dans mon garage à Montpellier faute de reconnaissance et que je trouvais cette situation très regrettable. L’ancien directeur de la patinoire de Chamonix puis celle de Lyon, qui était un homme beaucoup plus clairvoyant que ses collègues, dialoguait régulièrement avec moi. Lors d’un match auquel nous assistions ensemble, il me fit cette confidence qui allait changer le cours de l’histoire de notre sport : « Ecoutes, moi je m’en fous de ce que les autres pensent ! Comme je ne vais pas rester encore bien longtemps président du CNHG, avant de quitter mes fonctions, je vais en profiter pour officialiser ta coupe car je trouve que c’est une très bonne idée ! »
Henri Lafit tint parole et il décida, de son propre chef, d’envoyer
une lettre officielle à tous les présidents des clubs français, datée du 24 octobre 1985 (voir photo ci-dessus). On remarquera la grande habileté du président du CNHG qui, dans cette lettre historique, a voulu ménager les susceptibilités en donnant un rôle aux membres de son comité qui étaient pourtant indifférents à ce trophée pour la plupart ! En effet, il a fait croire dans sa lettre que l’initiative de créer la Coupe Magnus leur revenait alors que c’était totalement faux. Mais, qu’importe, ce qui comptait pour moi, c’est que j’avais atteint mon but ! Enfin, je le croyais…
C’est donc après l’envoi de cette lettre officielle signée par Henri Lafit que la Coupe Magnus fut décernée pour la toute première fois en 1986. Toutefois, devant l’indifférence manifeste des dirigeants, j’ai dû me charger de transporter et de remettre le nouveau trophée au club champion de France en toute discrétion, presque en catimini… Car bien évidemment ce coup de force déplaisait à certains élus fédéraux. Vexés d’avoir été mis devant le fait accompli,
ils décidèrent d’ignorer cette lettre d’officialisation ! La fédération de tutelle des sports de glace (FFSG) conserva donc l’ancien trophée (une coupe beaucoup plus banale) et c’est à l’équipe de Saint-Gervais que j’ai pris l’initiative de remettre tout seul la nouvelle Coupe Magnus sensée récompenser désormais le champion national de l’élite.
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Tristan Alric lors de la création de la Coupe et à droite Henri Lafit qui prit la décision de la rendre officielle |
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Cette situation pour le moins absurde dura
jusqu’en 1989 lors du sacre des Français Volants de Paris. En effet, pendant la cérémonie officielle qui se déroula dans la patinoire de Colombes, les supporters parisiens sifflèrent copieusement Jean Ferrand, le président de la Fédération des sports de glace et Bernard Goy, le président du Comité national de hockey, lorsque ces derniers se rendirent au centre de la piste pour remettre l’ancienne coupe fédérale. Dès que les Français Volants reçurent leurs médailles, tous les photographes et tous les hockeyeurs parisiens plantèrent sur place l’aéropage de la FFSG. Ils se ruèrent dans le coin de la patinoire où je me trouvais avec la spectaculaire Coupe Magnus pour immortaliser, sous une pluie de flashes, ce troisième titre remporté par le club de la capitale après les deux qu’il avait conquis avant la seconde guerre mondiale. Puis les nouveaux champions de France effectuèrent un tour d’honneur
en brandissant ostensiblement la Coupe Magnus à bout des bras tandis que la petite coupe fédérale restait à l’abandon sur le coin d’une table...
Avec le recul, je n’en veux pas à ces dirigeants qui avaient eu le tort de ne pas sentir souffler le vent de l’histoire et avec qui j’ai fini par renouer des relations très amicales. Car après cette humiliation publique, les anciens membres du CNHG ont fini par admettre l’absurdité de la situation et par prendre enfin la Coupe Magnus à leur compte en même temps que les trophées individuels que j’avais également créés. Mais ce qui me rend le plus fier, 35 ans après, c’est que la Coupe Magnus, qui fut un temps ignorée -
et que j’ai dû garder pendant six ans au total dans mon garage - est devenue aujourd’hui
le trophée suprême du hockey sur glace français. Ultime consécration, on sait que depuis 2005 la coupe a également donné son nom au championnat de France élite puisqu’il s’appelle désormais la « Ligue Magnus » !
Comme je le dis souvent, et croyez-moi sans fausse modestie, je n’ai pas eu beaucoup de mérite en créant la Coupe Magnus il y a 35 ans. J’ai simplement bénéficié
d’un concours de circonstances favorables en pouvant déjà publier régulièrement des articles très suivis dans le journal L’Equipe. Ces articles réguliers m’ont ainsi permis d’avoir un grand pouvoir d’influence pour familiariser et finalement imposer ce trophée. De plus, à l’époque, le hockey sur glace français cherchait encore ses racines historiques et le choix d’honorer Louis Magnus (créateur de la fédération internationale) avec cette coupe éponyme s’est avéré très pertinent. Enfin, je suis tombé sur un président du CNHG plus clairvoyant que les autres. Comme le dit l’expression bien connue, j’ai eu la chance
« d’être au bon endroit, au bon moment ». Le seul mérite que je m’accorde volontiers, c’est qu’il fallait juste y penser !