Avant de savoir quel club remportera dans quelques jours la
série finale de la Ligue Magnus au meilleur des sept matches, je vous propose de profiter de cette fin de championnat pour effectuer un retour dans le passé. L’occasion de vous raconter un événement très insolite qui s’est produit au siècle dernier à ce stade de la compétition et qui a été complètement oublié de nos jours.
Il faut dire que c’était en
1929 et
1930, juste après l’organisation des premiers Jeux olympiques d’hiver dans la station de Chamonix pendant lesquels les deux grandes légendes du hockey sur glace tricolore,
Léon Quaglia et
Albert Hassler, s’étaient illustrés non seulement comme hockeyeurs mais aussi comme patineurs de vitesse ! On retrouva donc ces derniers cinq ans plus tard pendant les deux finales inédites du championnat de France dont je vais vous parler.
Mais en préambule, je rappelle, pour les férus de statistiques, que depuis le premier titre national décerné en 1907 au Sporting Club de Lyon, le hockey sur glace français comptabilise à ce jour un total précis de
99 championnats en senior élite en tenant compte des diverses interruptions qui se sont produites, d’abord pendant la « Grande Guerre » puis au cours de la seconde guerre mondiale.
Cela signifie que la saison prochaine, on fêtera donc un événement marquant pour notre discipline puisque ce sera la
centième édition du championnat de France senior masculin ! J’espère que le hockey sur glace français saura profiter de cet anniversaire unique du centenaire pour faire du buzz sur le plan médiatique grâce à plusieurs initiatives originales.
Parmi les 99 championnats de France disputés jusqu’à ce jour, la conclusion de la saison s’est déroulée pendant plusieurs décennies sous la forme d’un
match unique avec la présence quasi permanente du club de Chamonix. En effet, comme on le sait, les anciens « Chamois » de la Haute-Savoie ont exercé une très longue hégémonie dans notre discipline ce qui explique qu’ils détiennent le record absolu de victoires au palmarès avec
30 titres nationaux. Le dernier sacre des Chamoniards a eu lieu au pied du Mont-Blanc en 1979 avec la présence sur la glace de Luc Tardif puisque le nouveau président de l’IIHF était à l’époque l’unique renfort étranger du club de Chamonix.
Par la suite, le déroulement du championnat de France, moins monopolisé grâce à un plus grand nombre de clubs en compétition, a été modifié dans sa conclusion pour accroitre le suspense. C’est ainsi qu’après avoir attribué le titre national au club terminant simplement en tête du classement général pendant une très longue période de 80 ans, une modification majeure est intervenue en 1988, date à laquelle ont été instaurées pour la première fois des
séries finales.
Il faut savoir que la saison précédente le club du « Mont-Blanc », issu de la fusion Saint-Gervais-Megève, avait écrasé le championnat en remportant tous ses matches dans le premier aller-retour et en battant tous les records d'invincibilité. Ce n'est qu'à la 33
e journée que les Aigles du capitaine André Péloffy perdirent finalement un match à Bercy face aux Français Volants de Paris qui terminèrent une fois de plus vice-champions de France. Le résultat final étant connu à l’avance le Comité national de hockey décida de rendre le championnat plus aléatoire en créant une série finale dès la saison suivante.
Les séries finales se résumèrent d’abord à un duel disputé sous la forme de
deux matches seulement (aller-retour) avant de passer progressivement à
trois puis
quatre et opter enfin pour une série au meilleur des
sept rencontres depuis 2011 à l’image de ce qui se fait depuis longtemps sur le continent nord-américain. L’avantage de cette multiplication progressive des matches, au-delà du suspense beaucoup plus long et incertain qu’elle procure, permit de garantir surtout une plus importante retombée financière pour les clubs encore en lice avec de plus nombreuses recettes.
Je rappelle cependant qu’à trois reprises, en
1992, en
2002 et plus récemment en
2021, le club de Rouen, celui de Reims, puis à nouveau Rouen, ont remporté la Coupe Magnus en fin de saison grâce uniquement à leur position
en tête du classement général. En effet l’absence provisoire des séries finales ces trois années-là permit la préparation olympique de l’équipe de France lors des deux premières et d’attribuer un titre de champion malgré la pandémie du Covid 19 qui mit malheureusement un terme prématuré au championnat la saison dernière.
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Vue panoramique du sommet en plateau du Mont Revard. |
Ceci étant dit, beaucoup de fans ignorent sûrement que deux anciennes finales du championnat de France de hockey sur glace disputées lors d’un match unique, celles de
1929 et de
1930, ont été particulières puisqu’elles ont eu lieu dans un endroit pour le moins inattendu. En effet, à l’époque les équipes finalistes de la « Première série », rebaptisée aujourd’hui Ligue Magnus, à savoir Chamonix et le Club des Sports d’Hiver de Paris (CSHP), se sont affrontées pendant ces deux années successives sur la patinoire naturelle et en plein air du
Mont Revard. Il s’agit d’une montagne des Alpes située dans le département de la Savoie, surplombant le lac du Bourget et la ville d’Aix-les-Bains, située seulement à 27 kilomètres de Chambéry.
Pourquoi le hockey sur glace français, qui ne comptait encore qu’une petite poignée de pratiquants (à peine une centaine !), avait-il choisi un endroit aussi décentralisé, isolé et si haut perché, au lieu de faire disputer les matches des deux clubs finalistes du championnat de France chez l’un ou chez l’autre ? D’autant qu’il faut se souvenir qu’à l’époque de l’avant-guerre les infrastructures routières et ferroviaires étaient beaucoup moins importantes et pratiques que de nos jours à tel point qu’elles obligeaient nos hockeyeurs de l’époque à effectuer des trajets longs et fatigants.
Pour comprendre cette délocalisation insolite, il faut savoir que le Club des Sports d’Hiver de Paris, qui était l’unique club parisien de hockey sur glace à l’époque, fut chassé, au mois de janvier 1929, de la patinoire du Rond-Point des Champs-Elysées à cause d’un désaccord financier important avec les responsables de cette piste qui avait la particularité d’être…ronde.
Toutefois les joueurs du club de la capitale décidèrent de continuer à participer malgré tout au modeste championnat de France qui se résumait à l’époque à un simple duel entre le CSHP et le club de Chamonix. Comme le club de Paris désirait trouver un terrain neutre, c’est pour cette raison que l’ancienne patinoire alpine du Mont-Revard, aujourd’hui disparue, fut choisie pour des raisons sportives mais aussi économiques.
Pour comprendre le contexte, il faut savoir que le Mont Revard, qui surplombe Aix-les-Bains, se situe à 5 kilomètres seulement de la ville à vol d’oiseau. Or, au début du siècle dernier, sur ce massif, où des bergers avaient l’habitude d’y mener leurs troupeaux en alpages, une station de ski fut aménagée au sommet situé à 1545 mètres d’altitude, grâce à la construction d’un train à crémaillère sur un parcours long de 9,3 kilomètres. Pour accueillir les touristes, un grand hôtel très luxueux et de nombreux équipements sportifs furent construits notamment une grande patinoire naturelle en plein air très impressionnante (4000 mètres carrés !) ainsi qu’une piste de luge, une piste de bobsleigh ou encore un tremplin de saut à ski.
L’aménagement de cette station de ski aussi bien équipée (une grande première en France), fut un tel événement que le
Mont Revard vécut une période faste et devint un lieu très populaire à l’époque, non seulement pour les habitants de la ville d’Aix-les-Bains toute proche, mais aussi dans toute la France et même à l’étranger. A tel point que le président de la république Armand Fallières, se rendit lui-même sur place en 1910. Trois ans plus tard, le Revard organisa la première descente aux flambeaux de l’histoire des sports de neige agrémentée d'un programme pyrotechnique. De son côté, la Fédération française de ski allait créer au Mont Revard, son premier centre officiel pour la formation des moniteurs.
Après la construction de la station de ski du Mont Revard, ce prestigieux domaine fut retenu pour recevoir en 1924 la « Semaine Olympique des sports de neige », mais la municipalité d’Aix-les-Bains, qui craignait de ne pas être à la hauteur financièrement, déclina cette offre. Du coup, c’est la station encore modeste de Chamonix en Haute-Savoie qui fut choisie pour recevoir cette manifestation sportive qui fut considérée comme les premiers Jeux Olympiques d’hiver officiels. Louis Magnus, qui avait encore beaucoup d’influence dans les sports de glace et notamment dans le hockey dont il avait créé la Ligue internationale (future IIHF), ne cacha pas sa préférence pour la station de Chamonix où il comptait beaucoup d’amis.
Le
Mont Revard avait pourtant des atouts très attractifs avec une montée spectaculaire en train à crémaillère qui durait une heure quinze minutes s’arrêtant dans cinq gares : Aix, Mouxy, Pugny-Chatenod, Pré-Jabert et Mont Revard. Sur le parcours, le train effectuait la traversée de plusieurs ponts, d’un viaduc, d’un tunnel de 28 mètres de long et d’un souterrain de 115 mètres. Bref, un véritable périple de différentes infrastructures très dépaysant pour les touristes. Pour l’époque ces aménagements innovants contribuèrent à valoriser la station dont la renommée dépassait les frontières.
Il existe encore le long de l’ancien tracé de la voie ferrée un certain nombre de vestiges, témoin de la grandeur du célèbre « petit train ». La plateforme de départ au pied de la montagne est toujours là, c’est maintenant le parking de la brasserie du Palais des Congrès d’Aix-les-Bains.
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L’ancienne patinoire naturelle et en plein air du Mont Revard. |
Bref, concernant le
Mont Revard, c’est sur l’invitation des élus locaux d’Aix-les-Bains, désireux de mettre en avant leur nouvelle station, que les hockeyeurs de Chamonix et du CSH Paris ont accepté de venir disputer leurs deux finales successives sur la patinoire aménagée tout en haut de cette montagne devenue une véritable attraction touristique. On notera que c’est l’équipe de Chamonix qui fut sacrée championne de France à l’issue des deux finales, d’abord sur le score serré de 1-0 après prolongations en
1929, puis plus facilement 2-0 au début de l’année
1930.
Logés dans le Grand Hôtel de la station et jouant sur une patinoire naturelle mais éclairée électriquement, les hockeyeurs finalistes n’avaient rien à envier au confort offert par les stations de la Suisse voisine. Louis Magnus qui fréquentait régulièrement le Mont Revard ne se priva pas de venir assister à ces deux matches épiques.
Dans l’équipe de Chamonix, il y avait seulement
sept joueurs en compétition à l’époque : Michel Tournier, Martial Couvert, André Charlet, Gérard Simond, Albert Hassler, Léon Quaglia, Raoul Couvert et Calixte Payot comme remplaçant. L’équipe de Paris était composée pour sa part du célèbre gardien de but Philippe « Fifi » Lefébure, Edwin Murphy, Jacques Lacarrière, Hubert Grunwald, Alfred De Rauch, Michel Delesalle, Charles Michaelis et Paul Mério comme remplaçant.
On notera que la ligne d'attaque de Chamonix étant nettement supérieure, elle fut sélectionnée dans son intégralité pour représenter la France aux Championnats du monde. Une aubaine pour les spectateurs du tournoi mondial de 1930 puisqu’il fut organisé dans la station de Chamonix.
Paradoxalement, c’est l'arrivée du téléphérique en 1935, en remplacement de la ligne de train à crémaillère, qui a provoqué la baisse de la notoriété de la station du Mont Revard. Il faut dire qu’entre-temps de nombreuses autres stations de ski furent construites dans les Alpes françaises et la concurrence devint grande entre elles. Pour le Mont Revard, avec la construction des infrastructures routières pour accéder au sommet, la voiture a pris ensuite le pas sur le téléphérique qui cessa définitivement de fonctionner à l'issue de la saison hivernale 1968-1969. Le charme fut rompu puisque les câbles, qui avaient cassé en 1969 sans faire de victime, mais en créant une grande frayeur, furent démontés totalement en 1975.
Quant au hockey sur glace, bien avant cela, il délaissa le
Mont Revard et son originalité pour vivre beaucoup plus intensément la grande époque des « années folles » qui se déroulèrent avant la deuxième guerre mondiale dans la grande patinoire du Vel’d’Hiv à Paris qui pouvait accueillir jusqu’à 20 000 spectateurs dans un stade couvert. La concurrence des nouvelles stations de ski françaises, le retour de l’anonymat de la pionnière savoyarde, puis l’arrêt de la patinoire naturelle en plein air du Mont Revard, expliquent que ces deux finales disputées sur cette montagne de la Savoie restent un épisode unique et mémorable dans l’histoire du championnat de France de hockey sur glace.
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Le Belvédère offre une vue imprenable sur Aix-les-Bains avec une passerelle en verre qui permet de marcher dans le vide. |
Si par hasard vous avez l’occasion de passer dans région d’Aix-les-Bains, je vous conseille d’effectuer en quelque sorte un « pèlerinage historique de hockey » en débutant votre visite, une fois arrivé au sommet, au
Belvédère du Revard. Depuis la création de trois pontons au-dessus du vide, le Belvédère offre en effet une vue imprenable à 360 degrés.
Accessible en voiture ou en bus une vue magnifique sur le Lac du Bourget s'offre à vous grâce aux trois passerelles dont une qui vous permet
de marcher dans le vide grâce à des vitres posées au sol ! Il y a également un jardin d'altitude et une table d'orientation vitrée qui vous invite à découvrir les noms des massifs alentours. Il ne reste plus qu’à s’imaginer, une fois arrivé sur place, que c’est à cet endroit que se disputèrent les finales de 1929 et 1930 du championnat de France de hockey sur glace.