Isolé sur son bout de glace
bleutée, le goalie est souvent épié quand le palet est proche, mais les
offensifs sont plus souvent la cible des photographes et les spectateurs les
couvent des yeux, espérant ne pas louper la passe magique ou la feinte
d’extraterrestre.
Chaque joueur a ses manies, untel
a son slip de match, l’autre se chauffera toujours les cuisses et seulement les
cuisses avec une pommade (et toujours la même), ça met en confiance. Dans un
domaine aussi spécial que celui du gardien, ces routines peuvent prendre une
dimension extrême. Si cet article ne décrit que la partie visible de l’iceberg,
il vous permettra d’estimer la partie immergée de ces manies qui plusieurs
heures avant le match amène le gardien vers la partie, pas n’importe laquelle, celle d’aujourd’hui, celle de sa
vie…
Dernier rempart de son équipe, le
gardien doit vaincre ou périr, seul, mais pour son équipe. Sport individuel
dans un sport d’équipe, la protection du filet nécessite autant de psychique
que de physique, sinon plus. Le match repose sur les épaules du gardien, une
erreur d’un attaquant est vite oubliée, celle d’un défenseur, peut encore être
réparée, celle du portier est fatale, la lumière rouge s’allume et l’adversaire
score. Laissant le cerbère dans le trouble et la détresse, s’attirant la colère
des fans, la déception de son équipe. Il doit être isolé dans une bulle de
concentration protectrice, loin de la joie ou de la déception ambiante, il ne
doit se concentrer que sur une chose, une chose de 2,54 cm d’épaisseur, de 7,62
cm de diamètre, et d’un poids situé entre 154 et 170 grammes, oui, il ne doit
se concentrer que sur le palet.
Depuis quelques parties, je
surveille attentivement Ramon SOPKO, le portier de poche du Dragon de Rouen.
Souvent très brillant, il lui arrive aussi de n’être qu’ordinaire. Il n’est
qu’humain après tout. Mais est- il
vraiment normal ? Au delà de la blague connue sur toutes les patinoires,
comme quoi les gardiens ne sont pas bien dans leur tête, pour le néophyte, le gardien peut sembler
souffrir de TOC, de troubles obsessionnels du comportement.
Sans arrière pensée partisane qui
consisterait à vanter SOPKO et à anéantir ses adversaires, l’observation a
certes été d’abord celle du cœur, puis celle de la facilité, j’ai vu SOPKO de
nombreuses fois sur glace et hors glace. Il s’agit juste ici de faire ressortir
ses manies, ses rituels, en l’opposant si possible à celles de ces rivaux.
Jouant moi-même à ce poste, je ressens l’importance vitale de ces rituels, de
ces gris-gris, et je vais essayer de vous les faire partager.
| Stéphanie Ouvry | |
Le petit bonhomme (173cm – 77 kg)
est attachant, réservé, un poil secret. Bien qu’arrivé en 2005 en France à
Tours, puis en 2006 sur les bords de Seine, on a encore affaire à la différence
de culture certainement, et aussi ce poste si particulier, le gardien. Toujours
le gardien dans sa bulle. Je me revois quitter la patinoire de Rouen un soir
frisquet, mon sac de gardien amateur plein d’une valise de pucks rouennais
récupérés au fond de mon filet après une sévère déculottée. Agacé, fatigué, la
tête basse, j’avançais péniblement, dernier de l’équipe, oublié par les
fantassins de la glace, je me traînais, la double porte, dernière épreuve avant
l’air libre. Encore une épreuve, les crosses dans une main, le sac que je tire
de l’autre main, je porte sur le dos le poids d’une défaite que le gardien ne
partage que rarement. La porte s’ouvre toute seule, je regarde à peine, je
profite de l’aubaine, je lève la tête pour remercier l’inconnu, qui ne l’est
pas inconnu. Ramon SOPKO en personne m’ouvre la porte, la tient grande ouverte,
il m’ausculte des yeux, remarque le gros sac, les crosses, il sourit, avec
presque de la tendresse, je fais 15 cm et 25 kilos de plus que lui, mais c’est
moi le môme, lui la star… Il comprend,
je suis sûr qu’il comprend, il lâche un « courage » quand je passe,
je bredouille un « merci, merci beaucoup ». La famille est là, elle a
tout vu, le rose aux joues, je rejoins les joueurs de ma petite équipe…
Phases finale de la Coupe Magnus 2008, Rouen reçoit Angers en demi et
Briançon en Finale.
| Stéphanie Ouvry | | Grande occasion oblige, les
joueurs rouennais entrent sur la glace dans un nuage de fumé, Ramon SOPKO en
tête, l’entrée est réussie, voici venir les gladiateurs des temps
modernes…
Ramon entre sur la patinoire, il
se positionne sur la ligne bleue rouennaise, au centre, comme souvent le
gardien, fait face à l’adversaire et salue. Il se retourne et fait face au but,
son but. Il prend une profonde respiration, ses épaules montent et descendent.
Il s’immobilise.
Que fait il donc ? Il défie
son but du regard, se l’accapare, l’amadoue, le prie, lui parle, revoit ses
meilleurs arrêts, se voit parfait, se voit pratiquer, se voit vaincre… Sans
aucun doute un peu de tout ça.
Il pique un sprint jusqu’au slot
et s’arrête contre son poteau gauche, en position, sans arrêter le mouvement,
il entame le griffage de son slot, le nettoie. Il répète quelques papillons. Il
prend possession de sa zone à lui, de sa bulle, il est déjà dans son match,
depuis longtemps. Mais là, on y est.
| Stéphanie Ouvry | | Anecdote : Contre Briançon,
début de second tiers, Ramon est en plein dans son rituel, au bout de son
sprint, il arrive à son poteau gauche. Malheureusement, le zèbre est en plein
rituel aussi, il vérifie le filet et ne voit pas le gardien de poche arrivé
dans son dos. Les deux hommes se télescopent, sans violence, échange de
regards, l’arbitre est gêné mais doit inspecter le filet, le slovaque quant à
lui joue déjà son match, il fixe méchamment l’arbitre, qui plie bagage sans
demander son reste devant la détermination du portier qui reprend son rituel.
L’arbitre fait signe aux gardiens,
SOPKO économise son geste, il est prêt, un léger signe de tête à peine
perceptible.
Durant le match, un poil, non
franchement maniaque, il nettoie son slot tout le temps, il ne bouge pas
beaucoup, ne quitte pas sa zone. En face KOIVULA ou BRONSARD semblent faire les
cents pas, devant la zone, ils quittent la zone, l’un fait des huit pendant les
arrêts de jeu, l’autre des allers retours contre la bande, afin de garder la
concentration !!
Les arrêts de jeu, parlons en...
SOPKO se positionne pour une mise
au jeu proche. Il opine nerveusement du chef pour bien positionner son masque,
arriver à ne plus sentir cette pièce d’équipement est l’objectif de tout
gardien, tout en préservant au mieux sa vision. Un ou deux coups de tête de bas
en en haut et deux trois de gauche à droite. Il claque sa crosse sur la glace,
et positionne sa mitaine.
Sa mitaine, parlons en aussi. En
position haute, il l’ouvre et la ferme rapidement deux fois, comme pour se
rassurer, oui elle est bien là au bout de ma main, prête à chopper le palet.
Sans se moquer, impossible de ne pas penser à Popek, à une marionnette qui va
faire le show.
En position basse (souvent en
infériorité numérique d’ailleurs) Ramon baisse sa mitaine, juste au dessus de
sa palette, et croyez le, il analyse finement la position des adversaires et
reçoit souvent un tir bas quand il choisit cette option. Anticipe t’il le jeu adverse ou le provoque
t’il ??
En phase de jeu, il communique
beaucoup avec son escouade défensive.
Le palet file derrière le but, sur
la bande gauche, il lève le bras gauche vers le palet. Vers la droite, la
crosse file vers le ciel…
Il crie à sa défense, l’invective,
la guide, la dirige, la commande. Il engueule même vertement le coach et le
banc entier quand, lors d’un mauvais changement de ligne il se retrouve en
situation délicate.
Contrairement à de nombreux
gardiens, il ne redonne pas le puck aux arbitres, il l’arrête, le gèle,
l’arbitre siffle, il le relâche aussi sec, d’un geste rapide, comme pour ne pas
s’attacher à ce petit morceau de caoutchouc, ou pour ne pas apprivoiser cette
petite bestiole sauvage.
KOIVULA rend le palet aux arbitres
classiquement, BRONSARD le rend aussi, mais en faisant ressortir le palet de la mitaine, pour se le déposer sur
la base du pouce !!
Le calme ...
SOPKO s’énerve rarement après
l’arbitre, mais quand ça sort, ça sort,
le lutin s’agite, les bras partent dans tous les sens.
Sa colère lors de la Finale de
Coupe de France à Bercy restera dans les annales, touché au masque par la
crosse du joueur ayant marqué un tir de barrage, il criera à l’injustice
(injustement d’ailleurs, mais ce n’est que mon avis) avec véhémence.
Rouen domine, les joueurs
marquent, prennent le dessus, après un but, ils veulent congratuler SOPKO,
mauvaise idée, le portier refuse et fait signe que le match n’est pas fini, il
refuse la joie qui étreint ses co-équipiers.
Rouen prend un but, SOPKO,
s’isole, patine sur le côté de son but, il fait le vide, stoppe la tempête sous
le masque, et passe au tir suivant. C’est plus facile pour lui, que pour les
portiers adverses. Prendre un but quand on possède une telle armada offensive
dans son équipe, ça n’est pas un drame.
Faut dire aussi, les 2600
supporters rouennais scandent son prénom ou son nom (les deux écoles
s’affrontent amicalement), ça doit rudement remettre en selle. Même chose et plus fortement encore quand il
frustre les offensives adverses.
On a déjà vu le Dijonnais HURAJT
Radovan péter les plombs en quarts de finale contre Rouen et quitter la glace
tellement il était dégouté par la puissance des avants rouennais, et surtout
l’impuissance de son escouade défensive.
Il y a quelques saisons HIADLOVSKY
avait subi le même triste sort.
De son côté, KOIVULA s’agace, on le sent, son
patinage est plus heurté, il tente des assouplissements dans son slot, mais de
ce fait, s’il travaille à récupérer physiquement et psychiquement, il envoie un
message aux rouennais, il est touché moralement et lutte pour rester
concentré !!
BRONSARD n’aura pas le temps, vite
sollicité à chaque début de partie à Rouen, il montrera qu’il n’est pas dans le
coup en début de match, se refaisant plus tard, il commencera péniblement ses
parties rouennaises, il lance lui aussi un mauvais message aux dragons, il est
fébrile. C’est compréhensible, la meilleure offensive du championnat face à
lui, ça met la pression. Il a pourtant fait une brillante saison, mais là ses
entâmes de matches seront limites, pourtant il reviendra dans la partie et
offrira une très belle prestation face aux coups de boutoirs rouennais.
Photos : Stéphanie Ouvry
Ramon SOPKO pendant ces play-offs a été royal, il a clairement racheté
son début de saison moyen. Il a ajouté la sérénité qui lui avait cruellement
manqué la saison dernière. Il a montré si besoin est que le gardien de hockey
n’est pas encore obligatoirement un géant. Et le staff orné du dragon ne s’y
est pas trompé, il a été un des premiers à renouveler son bail pour la saison
prochaine.
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