Le recrutement des renforts étrangers reste toujours un choix
stratégique très important pour nos clubs de hockey sur glace. Pour la simple raison qu’ils n’ont pas un nombre suffisant de joueurs français de haut niveau qui veulent rester dans l’hexagone pour pouvoir composer des équipes compétitives. Jusqu’en 1989, date de l’effondrement du bloc communiste, la seule alternative était de faire venir en France des renforts nord-américains en très grande majorité
canadiens. Leur recrutement était d’autant plus évident qu’ils jouissaient d’une grande réputation puisque on sait que c’est leur pays qui a inventé le hockey sur glace pour en faire un sport national érigé en véritable religion. De plus, les hockeyeurs originaires de la province du Québec avaient le grand avantage de posséder souvent
la double nationalité franco-canadienne, ils avaient donc une langue commune avec la nôtre.
Mais après la disparition du « rideau de fer » communiste, puis l’arrêt Bosman survenu en 1995, on assista à l’ouverture des frontières de tous les pays du vieux continent et notamment ceux de l’est de l’Europe. Du coup, la source de recrutement des renforts étrangers a radicalement changé car
l’offre s’est considérablement élargie. La conséquence immédiate fut la nécessité d’un questionnement stratégique pour tous nos entraîneurs car ces derniers se sont alors interrogés : vaut-il mieux choisir des renforts canadiens ou ceux venus d’Europe ?
En effet, à l’époque la théorie était de dire que les hockeyeurs canadiens, avec leurs patinoires plus étroites et leur caractère intrépide, pratiquaient un jeu surtout
individuel axé avant tout sur l’attaque à outrance pour marquer des buts.
En revanche, les hockeyeurs européens, notamment les Russes, les Tchécoslovaques et les Suédois, pratiquaient un style de jeu beaucoup plus
discipliné et surtout plus
collectif. Du coup, pour former leurs lignes, nos entraîneurs ont eu tendance, dans un premier temps, à recruter, par pragmatisme et tactique, plutôt des renforts canadiens en attaque et des renforts européens en défense.
Mais avec l’arrivée progressive dans le circuit professionnel nord-américain de la
NHL d’un plus grand nombre de joueurs européens, et du fait aussi que les championnats du monde, comme les Jeux olympiques, se disputent sur des patinoires aux dimensions plus larges, cette différence de style de jeu entre nord-américains et européens s’est peu à peu estompée au point que le hockey sur glace pratiqué partout dans le monde est devenu désormais moins
contrasté et plus
homogène.
Pour bien comprendre la raison de cette évolution, il faut se rappeler par exemple qu’au mois d’octobre 1995, le club des Red Wings de Détroit, dirigé par le coach légendaire Scotty Bowman, avait créé la sensation en recrutant pas moins de
cinq renforts russes ce qu’aucune autre équipe de la NHL n’avait encore fait à l’époque ! Un événement inédit qui a inspiré plus tard le documentaire « The Russian Five » réalisé par Joshua Riehl en 2018 et qui a forcé à partir de ce jour le hockey nord-américain à se remettre en question et à modifier sa manière de jouer pour devenir moins individualiste.
Mais comme la France n’est pas le pays de destination le plus attractif pour les hockeyeurs étrangers de haut niveau, nos clubs se sont souvent contentés de recruter, faute de mieux, soit des renforts « touristiques » peu onéreux, soit des joueurs universitaires ou des professionnels en fin de carrière.
Toutefois, un club comme Reims par exemple, a été plus ambitieux et a inauguré un nouveau marché en faisant appel lui-aussi pour la première fois à des renforts venus de
l’Europe l’est. En effet, lors de la saison 1989-1990, le club de la Marne, qui fut repêché de justesse à la suite du forfait de Gap, réalisa enfin son rêve d’évoluer dans le championnat de la Nationale 1A (Ligue Magnus aujourd’hui). Le célèbre président de Reims, le regretté Charles Marcelle, profita de cette opportunité de promotion pour frapper un grand coup en alignant pour la première fois dans son équipe élite
trois renforts russes : Sergueï Gorbouchine, Sergueï Toukmatchev et l’entraîneur-joueur Vladimir Kovin. Ce fut une révolution de palet à l’époque !
On a assisté par la suite dans le championnat de France, surtout élite, à des « modes » successives de recrutement grâce à
des filières privilégiant, selon les périodes et des contacts particuliers des clubs, tel ou tel type de pays. Mais on ne peut pas toutefois parler de flux important ou de véritable vague en faveur d’une nationalité en particulier. Car le critère qui a été souvent pris en compte au début par nos clubs ce fut la
communication élément indispensable dans une équipe. Dans ce but, ils préféraient s’attacher les services de renforts - et surtout de coaches - qui puissent si possible comprendre et parler le français. Cela afin d’éviter des incompréhensions et des tensions. Toutefois, on se rend compte que de nos jours l’usage de la langue anglaise est devenu chose courante dans les vestiaires et même pendant les entraînements et les matches. Un renoncement d’assimilation linguistique en défaveur du français que je regrette beaucoup personnellement. Et pourtant, je suis très anglophile et modestement bilingue !
Je me souviens par exemple que dans l’équipe d’Amiens, c’est le joueur français d’origine russe Sacha Kalisa qui servait de traducteur à l’entraîneur-joueur
Vladimir Zubkov en 1990 avant que celui-ci parvienne à maîtriser tant bien que mal notre langue. Même chose en équipe de France lorsque le suédois
Kjell Larsson a été nommé entraîneur national en 1986. Comme il ne savait pas encore parler français, c’est son fidèle adjoint
Marc Peythieu qui traduisait ses explications aux joueurs tricolores. Plus tard, c’est
James Tibetts qui se chargea du rôle d’adjoint-traducteur lorsque le célèbre coach américain Herb Brooks dirigea provisoirement les Tricolores en 1998.
Quoi qu’il en soit, le choix apparemment cornélien, entre deux styles de jeu – nord-américain et européen - que l’on prétendait
hétérogènes, ne pose plus de problème avec autant d’acuité de nos jours avec une homogénéisation internationale de la pratique du hockey. Ce n’est donc pas en priorité le modèle de jeu qui préoccupent désormais les responsables de nos clubs mais plutôt
les avantages économiques que peuvent avoir le recrutement de certains renforts étrangers.
Si de nombreux jeunes hockeyeurs finlandais, suédois ou tchèques évoluent dans les équipes du championnat de France, c’est uniquement parce que ce sont par exemples des étudiants ou des « mercenaires » qui prennent une période sabbatique pour voyager et acceptent des conditions financières plus modestes très avantageuses pour les clubs français, surtout les moins fortunés. En d’autres termes, ce sont les
contraintes budgétaires ou à l’inverse
l’aisance financière qui permettent un recrutement particulier en tenant compte du quota d’étrangers imposé dans nos divers championnats.
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En 1995, le club NHL des Red Wings de Détroit avait créé la sensation en recrutant pas moins de cinq renforts russes : Sergei Fedorov, Slava Kozlov, Vladimir Konstantinov, Slava Fetisov et Igor Larionov. |
Le Canada restant malgré tout une référence, ce n’est pas sans raison si le plus grand nombre de renforts
canadiens qui évoluaient au début de cette saison dans la Ligue Magnus se trouvaient d’abord à Angers (
10) puis à Rouen (
8). Suivaient ensuite Bordeaux et Mulhouse (
7) tandis que Grenoble ainsi qu’Amiens ont préféré se contenter de la moitié de renforts d’origine canadienne dans leur effectif étranger autorisé (
5). En revanche, les autres clubs de l’élite ont misé plutôt sur des renforts venus
d’Europe avec un total impressionnant de
huit slovaques par exemple à Briançon qui bénéficie de sa propre filière. Les autres équipes en lice ont opté pour des mélanges plus égaux de renforts ayant la nationalité tchèque, finlandaise, suédoise, biélorusse ou encore lettone.
Pour le hockey sur glace français, le
style de jeu de ses renforts étrangers n’est donc plus le critère prioritaire dans le recrutement compte-tenu, je l’ai déjà dit, de
l’homogénéisation de la pratique de ce sport au niveau international. Même si les joueurs canadiens restent malgré tout intrinsèquement dans leur ADN des « Francs-tireurs » et bénéficient toujours d’une plus grande attention. On s’en rend compte avec la composition de l’équipe d’Angers et celle de Rouen comme je l’ai dit. Mais en général, le seul véritable problème qui préoccupe les responsables de nos clubs, c’est de savoir - en l’absence de véritable choix philosophique du jeu - quel sera le recrutement de renforts étrangers le moins
onéreux et le plus
rentable sportivement. Pour la majorité de nos dirigeants, c’est donc le rapport qualité-prix qui rentre finalement le seul en compte. A charge pour les entraîneurs de trouver ensuite une bonne alchimie entre les différentes nationalités qu’ils ont dans leurs effectifs.