Tout d’abord, je souhaite
une bonne année 2021 à tous les lecteurs d’Hockey Hebdo et notamment aux fidèles de cette « Tribune Libre » qui vient de fêter sa première année d’existence. Pour passer le cap du nouvel an, je vais évoquer aujourd’hui un autre anniversaire qui concerne un événement extra-sportif mémorable qui s’est produit il y a tout juste 30 ans. C’était au début du mois de janvier 1991, quand le championnat de France de la Ligue Nationale (rebaptisé plus tard Ligue Magnus) a été le théâtre d’un épisode pour le moins étonnant puisqu’il a permis la métamorphose immédiate d’un club de l’élite qui était pourtant théoriquement condamné et aurait dû disparaître en pleine compétition.
En effet, le grand amateurisme et l’extrême précarité financière du championnat de France élite permirent à l’époque au club d’Amiens de s’accommoder avec le règlement fédéral et de bénéficier
d’un incroyable subterfuge. Un tour de passe-passe que l’on peut qualifier d’arbitraire et de pas très équitable, mais qui passa pourtant « comme une lettre à la poste » grâce à la complicité des membres du Comité National de Hockey (CNHG). Il faut dire que ces derniers furent forcés d’être magnanimes et d’user d’un passe-droit pour ne pas pénaliser d’avantage le championnat de France car les comptes des clubs de la Ligue Nationale étaient presque tous dans le rouge. Cette astuce machiavélique, qui permit l’apparition soudaine d’un « Phénix » sur la glace, arrangea tout le monde et elle prêterait à sourire si elle n’avait pas causé à l’époque des dégâts collatéraux importants au détriment des anciens créanciers du club picard.
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Les deux articles publiés dans le journal L’Equipe |
Tout commença quelques mois avant le départ (provisoire) du célèbre renfort russe Vladimir Zubkov pour Chamonix à l’issue de sa troisième saison en Picardie. En effet, après une première tentative avortée en 1989 pour conquérir la Coupe Magnus (défaite en série finale face aux Français Volants de Paris), les dirigeants du club d’Amiens ne se découragèrent pas mais ils eurent le tort de se lancer dans
une fuite en avant suicidaire sur le plan financier. Malgré une trésorerie fragile, l’équipe de la Somme continua donc à se renforcer avec notamment les retours simultanés de son capitaine emblématique Antoine Richer (après huit ans d’absence) et de ses trois « rémois » Christophe Moyon, Thierry Ouzelet et François Richer, ainsi que l’arrivée en Picardie de l’attaquant international Pierre Pousse en provenance du club du Mont-Blanc.
Lorsque Claude Studer, le président de l’Amiens Sporting Club (qui englobait plusieurs disciplines), décida de démissionner au mois de juin 1989, l’ampleur du problème apparut alors au grand jour. Après plusieurs audits et expertises, il fut évident que
le dépôt de bilan était inévitable. Avec beaucoup de courage, Jean-Marie Quintard, son successeur, accepta de venir reprendre pour la deuxième fois les commandes de la section hockey sur glace de l’ASC pour tenter de sauver les meubles. Au cours de la saison 1990-1991, le club d’Amiens était en effet en plein naufrage financier. A tel point que les joueurs
n’étaient plus payés et l’URSSAF imposa un redressement fiscal. Du coup, le déficit du club avoisina les 300 000 euros actuels. Une sacrée note en… Somme !
Pourtant le club de Picardie allait bénéficier d’un passe-droit pour le moins discutable concédé par la FFSG, son ancienne fédération de tutelle. Dans un premier temps, le hockey sur glace amiénois fut condamné à être jeté « comme le bébé avec l’eau du bain » puisque le grand club omnisports de Picardie qui l’hébergeait fut mis en liquidation judiciaire le 28 décembre 1990. Théoriquement, toutes ses sections sportives parmi lesquelles se trouvait donc le club de hockey devaient
disparaître totalement. De ce fait, l’équipe professionnelle aurait dû être logiquement exclue du championnat de la « Ligue Nationale ».
Mais, comme par un coup de baguette magique, grâce à une aide financière exceptionnelle octroyée conjointement par la ville d’Amiens et par le Conseil Général, ainsi que le soutien d’un nouveau sponsor (l’entreprise de construction Quillery), le club de la Somme allait renaître immédiatement de ses cendres en devenant un club
totalement autonome qui prit désormais le nom de
Hockey Club Amiens Somme (HCAS). Pour tirer un trait définitif sur le passé et se débarrasser des dettes, on débaptisa donc les « Ecureuils » qui devinrent subitement les «
Gothiques » ! Ce nouveau nom original fut l’idée d’une agence de publicité qui prit comme référence le style architectural de la célèbre cathédrale de la ville de Picardie. Du coup, les nouveaux maillots de la « chrysalide » en pleine métamorphose devinrent très bariolés pour évoquer les couleurs des vitraux de Notre Dame d’Amiens…
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Pierre Pousse est devenu un Gothique très coloré |
Cette transformation radicale permit ainsi au président Jean-Marie Quintard de rester à son poste avec l’ensemble de son équipe. Le nouveau club se débarrassa donc
à moindre frais et avec soulagement d’un très lourd fardeau financier et put se faire ainsi une nouvelle virginité… Son tour de passe-passe fut d’autant plus adroit que la FFSG, qui n’était pas très regardante et savait adapter de manière très cavalière le règlement, accepta sans sourciller le moins du monde que les nouveaux « Gothiques » prennent immédiatement la place des « Ecureuils » dans le championnat de France ! Cette entourloupe spectaculaire eut lieu dès le 5 janvier 1991 à l’occasion d’un match de championnat élite contre Bordeaux. Il y a donc trente ans tout juste ce mois-ci.
Pour l’anecdote, l’ancien entraîneur national, le canadien naturalisé
Dave Henderson, qui devait trouver les mœurs du hockey français parfois surprenants, profita de la fin de cette saison très particulière pour mettre un terme définitif à sa carrière de joueur le 18 avril 1991, à l’âge de quarante ans, après avoir disputé un ultime match de play-off à Grenoble. Un peu plus tard, Dave Henderson déclara : « J’aurais bien voulu continuer à jouer mais mon corps ne suivait plus. A un moment, il faut être lucide et savoir s’arrêter. Je ne risque pas d’oublier la date de mon arrêt car le chiffre de cette fameuse année est gravé au dos d’une montre que le club m’a offert à cette occasion. Comme elle marche bien, je la porte toujours au poignet. »
Le célèbre numéro 10 amiénois ajouta avec un sourire amusé qu’il gardait aussi en mémoire sa subite métamorphose sur la glace en tant que joueur puisque au début du mois de janvier 1991, cet «
Ecureuil », est donc devenu d’un seul coup, comme par magie, un «
Gothique » tout en continuant à disputer le même championnat…