Avant de faire une pause et souhaiter de bonnes vacances d’été à nos lecteurs, je voudrais rendre un hommage qui me tient beaucoup à cœur. En effet, il y a déjà plus de vingt ans, c’était au mois de janvier 2001, disparaissait Henri Lafit à l’âge de 82 ans. Ses obsèques, très discrètes, ne furent pas dignes de la contribution inestimable que cet ancien président du hockey sur glace français a apporté à notre sport. Heureusement, dès sa création, la FFHG a réparé cette injustice en l’élisant à l’unanimité dans le Temple de la Renommée dès la deuxième promotion en 2009.
Il faut savoir qu’Henri Lafit fut l’homme à tout faire du hockey sur glace français. En d’autres termes il fut un personnage indispensable ! D’abord, dans la patinoire de Chamonix où il passait la surfaceuse, effectuait les réparations, affûtait les patins, montait sous le plafond régler les éclairages, tenait la caisse d’entrée et, surtout, s’occupait du bien-être de ses hockeyeurs qui le considéraient tous comme leur
second père. Bref, à tout instant on voyait passer en coup de vent Henri Lafit le long de la balustrade et dans les couloirs de la patinoire avec sa démarche si familière (il boitait légèrement) portant toujours à la main son célèbre trousseau de clés qui cliquetaient sous ses pas pressés.
Son omniprésence provoqua parfois des situations cocasses. Comme par exemple lors du tournoi de noël 1964, quand le match entre Chamonix et le club slovaque de Bratislava dût être subitement interrompu par sa faute. En effet, le chronomètre continuait à tourner après le coup de sifflet de l’arbitre, or il n’y avait plus personne à la table de marque ! La raison de cette « désertion » était simple : Henri Lafit s’occupait également du stock de crosses de ses hockeyeurs et pour en obtenir une neuve, il fallait impérativement le lui demander en personne. Du coup, ce stakhanoviste du hockey, sur la demande d’un joueur, n’hésita pas à abandonner sur le champ la table de marque, le cahier de match et le chronomètre, pour aller lui chercher sa crosse de rechange. Comme Henri Lafit était le seul à savoir faire marcher le chrono, et le seul aussi à faire les annonces au micro, le public dut attendre patiemment que le seigneur des lieux veuille bien réapparaître…
Autre anecdote savoureuse : au mois de juin 1982, la ville de Nice organisa le congrès général de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) qui a lieu que tous les quatre ans. Pour être à la hauteur de ce grand événement, les dirigeants du hockey français avaient voulu mettre « les petits plats dans les grands ». Tout le monde avait donc un rôle bien défini à remplir. Henri Lafit, à l’époque vice-président de la FFSG, décida de se rendre en personne à l’aéroport pour réceptionner en grande pompe les délégations étrangères pour les amener dans sa propre voiture jusqu’à l’hôtel. Cet homme adorable, toujours prêt à rendre service et qui avait le cœur sur la main, pensait que ce genre d’attention ferait de l’effet. Il ne savait pas à quel point ce serait le cas…
Car le sympathique Henri Lafit n’était pas du genre costume-cravate et son allure très « décontractée » détonnait un peu dans ce petit monde guindé. D’autant qu’il maîtrisait très mal l’anglais ce qui limitait également les conversations. Tant et si bien qu’à l’arrivée à l’hôtel, certains dirigeants étrangers descendirent de la voiture conduite par Henri Lafit en lui demandant, d’un ton condescendant, de bien vouloir porter leurs valises et ils lui donnèrent un pourboire pensant avoir affaire à un simple chauffeur ! Inutile de dire que leur confusion fut grande lorsqu’au cours de l’assemblée générale de l’IIHF, ils s’aperçurent que leur « chauffeur » était dans la salle et qu’il participait aux débats officiels...
Mais, c’est au cours de l’année 1985 que le regretté Henri Lafit, élu à sa grande surprise deux ans plus tôt président du Comité national de hockey (CNHG), pour permettre à Jean Ferrand de prendre la tête de la FFSG, marqua beaucoup les esprits. D’abord lors des fameux championnats du monde qui furent organisés en Haute-Savoie, simultanément à Chamonix, Saint-Gervais et Megève, pendant lesquels la France se qualifia pour la toute première fois de son histoire dans le groupe B mondial (Division 1 actuelle) sous la direction du tandem d'entraïneurs nationaux Patrick Francheterre et Paul Lang.
Cette qualification, qui mettait un terme positif au plan fédéral baptisé « Horizon 85 », était si attendue qu’Henri Lafit, fondit en larmes dans la patinoire de Chamonix lorsque les hockeyeurs tricolores, qui appréciaient beaucoup ce dirigeant très humain, se précipitèrent vers lui et le portèrent en triomphe pour le remercier de son soutien (voir photo ci-dessous). De mémoire, on n’avait encore jamais vu un président susciter autant de sympathie. « Contrairement à certain de ses successeurs,
Henri Lafit n’était pas là pour profiter du système, confia le gardien international Daniel Maric qui était pourtant avare de compliment. Il avait pris cette responsabilité juste par plaisir, pour l’amour du hockey. Il était très sympa avec tout le monde. C’est pour cette raison que nous avons voulu marquer le coup. »
Et puis, je n’oublie pas, à titre personnel, que c’est grâce Henri Lafit si la Coupe Magnus, que je venais de faire fabriquer, fut officialisée en 1985 malgré les réticences de la plupart des dirigeants du Comité national de l’époque. J’ai raconté cet épisode en détail
dans la Tribune 17 qui est archivée avec les autres en dessous de cet article.
Mais, c’est dans la patinoire Charlemagne de Lyon, dont il fut également le directeur après celle de Chamonix, que la présence d’Henri Lafit se révéla une fois encore d’une efficacité redoutable car il continua à courir sans arrêt comme on va au four et au moulin. A tel point que lorsqu’il fut contraint de prendre sa retraite et quitta son poste, la municipalité de Lyon dut embaucher
une dizaine d’employés pour exécuter le travail colossal que l’ancien président de notre sport réussissait à faire tout seul !
Si Henri Lafit nous a quitté dans l’anonymat, il y a juste vingt ans, ignoré par la plupart des anciens dirigeants qui n’avaient pas mesuré son importance à sa juste valeur, trop accaparés par une période très agitée, il restera malgré tout
un président inoubliable dont je tenais à rappeler le souvenir. Je salue par la même occasion la mémoire de son fils, Lionel Lafit, ancien hockeyeur, décédé précocement en 2009 à l'âge de 53 ans, après avoir été joueur à Lyon, Villard-de-Lans et Rouen puis entraîneur-joueur à Dijon, avant d’aller à Fontenay-sous-Bois et enfin à Besançon.
Comme je crois aux forces de l’esprit, je profite de cette tribune pour te dire encore une fois
merci Henri pour tout ce que tu as fait pour les sports de glace en général et pour hockey français en particulier avec un dévouement et un désintéressement qui expliquent la grande popularité unique dont tu bénéficiais parmi les joueurs à l’époque. Certains de nos dirigeants seraient bien inspirés de suivre ton exemple !
Si tu es parti un jour sans bruit, presque en t’excusant, sache que ton souvenir perdurera dans notre sport car je veillerai toujours à entretenir la flamme de ta mémoire. Les traces que tu as laissé sur la glace de nos patinoires ne s’effaceront jamais.