- HOCKEY CORPO : RENAISSANCE EN FRANCE ? -
Les clubs de hockey sur glace « corpos », autrement dit créés par des entreprises ou des corps de métiers, sont actuellement rares en France. Toutefois, il existe par exemple le club de hockey « Les Sentinelles » créé par les forces de l’ordre, mais aussi le club « Les Frères d’Armes » créé par les forces armées ou encore celui des « Brûleurs de glace » créé par les pompiers. L’originalité de tous ces hockeyeurs, c’est d’être licenciés de façon éparpillée dans des clubs traditionnels et de se regrouper sous forme corporative uniquement lorsqu’une occasion se présente.
Ce fut le cas par exemple lors du premier tournoi national corporatif de hockey sur glace qui s’est déroulé au mois de novembre 2019 sur la patinoire de Brive en Corrèze grâce à l’invitation de son directeur, l’ancien international Jean-Pierre Michot. Pour l’occasion ce dernier avait formé une autre équipe de hockey sur glace corporative : celle des « Communaux » de Brive (ASCB).
Dans un article publié l’été dernier, Julien Diez, le président-fondateur du Hockey Club des Armées raconta l’organisation d’un nouveau camp d’entraînement de son association corporative : « Trente militaires venant des quatre coins de la France se sont donné rendez-vous du 9 au 11 juillet 2021 dans la patinoire de Mulhouse, une nouvelle fois, après leur tout dernier évènement effectué en février 2020. Ce camp d’entraînement intensif de trois jours était essentiellement tourné sur la reprise des sensations sur la glace. Au programme, le plaisir partagé et le sérieux du travail individuel et en équipe. C’était autour d’un entraîneur exceptionnel, Thibault Creuze, qui officie au sein de l’ADHM (Association de Développement du Hockey à Mulhouse), que les Frères d’Armes ont pu réviser leurs gammes au travers de différents cours théoriques et mises en pratique sur la glace. Deux matchs amicaux ont permis de conclure ce week-end riche en enseignements et émotions. »
Encore plus récemment, un nouveau regroupement des « Sentinelles » a eu lieu du 8 au 11 décembre 2021 en Île de France, en vue de préparer la Coupe du monde police de hockey sur glace qui se déroulera en avril 2022 en République tchèque. Pour l’occasion, le président-entraîneur des Sentinelles Grégory Spencer a organisé un match le dernier jour du stage, sur la patinoire de Boulogne Billancourt, avec comme adversaire l’équipe de l’armée française les « Frères d’Armes ». Ce regroupement fut aussi l'occasion de réunir à nouveau les joueurs(es) de l'équipe après 20 mois d'arrêt en raison de la crise sanitaire. Enfin, pour l’anecdote, le responsable de la section hockey des pompiers « Brûleurs de glace », Alexis Ridel, est également le vice-président du club de Meudon qui évolue en Division 2.
Si les clubs corpos français de hockey sur glace - dans lesquels la camaraderie et l’ambiance sont extraordinaires - se comptent actuellement sur les doigts d’une main, en revanche, ce ne fut pas le cas avant la seconde guerre mondiale. En effet, pendant les « années folles » que le hockey sur glace français connut dans l’ancien vélodrome d’hiver de Paris, de très nombreuses équipes corporatives furent créées et disputèrent de nombreux matches, souvent spectaculaires, sur la grande patinoire du vieux Vel’d’Hiv qui attirèrent parfois jusqu’à 10 000 spectateurs !
Ces anciens clubs corpos de hockey avaient adopté des noms parfois étonnants. Le plus bel exemple est celui du « Gros Caillou Sportif ». Appelé familièrement le « Gros Pav' » (gros pavé), il s’agissait en fait d’un club omnisports représentant le quartier du Gros-Caillou à Paris qui est situé entre le Champ de Mars et les Invalides. Il y avait aussi « l’Athlétic club Citroën » du nom de la célèbre marque de voiture et le « Club Olympique de Billancourt » créé au sein de l’usine automobile Renault.
Lorsque cette usine décida de dissoudre sa petite section de hockey sur glace, les joueurs du COB furent contraints de s’éparpiller dans les autres clubs corpos de la capitale comme l’Association Sportive de la Préfecture de Police (ASPP) ou encore le club « Radio Tout Sports Paris » (RTSP). Comme on le voit, les policiers, les journalistes de radio et de la presse écrite formaient décidément de nombreuses équipes corporatives de hockey sur glace dans l’ancien Vel’d’Hiv !
Mais parmi les hockeyeurs de la Régie Renault qui étaient à la recherche d’un nouveau point de chute après l’arrêt de leur club coporatif, certains décidèrent de continuer à jouer ensemble. Dans ce but, ils contactèrent alors leurs collègues de la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) afin de recréer avec eux un nouveau club corpo de hockey. C’est ainsi que Claude Pourtanel, tout en continuant à être un agent de l’administration qui exploitait les lignes de métro à Paris, accepta de devenir, à la fin de l’année 1953, le président de la nouvelle section de hockey sur glace de l’Union Sportive Métropolitaine, plus communément appelée « l’US Métro ». Plus tard, l’USM sera dissoute pour devenir le club de Viry-Châtillon lors de la création de sa patinoire.
Autre équipe corporative étonnante qui jouait au hockey dans l’ancien Vel’d’Hiv, celle de l’Association Sportive Russe créée en 1922. L’ASR se lança à son tour dans l’aventure des club corporatifs parisiens de hockey sur glace en formant une équipe portant ses propres couleurs. Il faut dire qu’après la révolution et la fin du règne du tsar Nicolas II, de nombreux russes, qui soutenaient l’ancien régime impérial, s’étaient exilés dans la capitale française. Surnommés les « Boyards », ils comprenaient d’anciens officiers de l’armée tsariste. Un certain nombre d’entre eux devinrent chauffeurs de taxi dans la capitale. Or, la glace était une surface qu’ils connaissaient…
Dans ce tour d’horizon, il ne faut pas oublier de citer également le Paris Université Club (PUC) qui fut fondé le 1er mai 1906. En effet, le PUC attira très vite de nouveaux adeptes, en particulier des étudiants et anciens élèves de la rive gauche et de la banlieue sud de Paris. Certains d’entre eux formeront une équipe de hockey sur glace dès la création de la grande patinoire du Vel’d’Hiv.
Continuons l’inventaire des curiosités avec également l’équipe de hockey du Cercle Nautique de Chatou. Les membres du CNC aimaient plaisanter au point d’être bientôt surnommés les « Chatouillards ». Ne manquant aucune occasion de régater et de faire la fête, le Club Nautique de Chatou organisait des descentes de la Seine, accompagnées de péniches pour faire suivre « l’intendance », à savoir les copines et la bonne humeur. Ce n’est donc pas étonnant qu’ils acceptèrent à cette époque de venir jouer au Vel’d’Hiv pour taquiner également le palet de hockey avec une crosse en main et des patins aux pieds…
On notera que plusieurs établissements d’enseignement, public ou privé, se lancèrent eux-aussi dans la compétition effrénée du hockey sur glace corporatif au Vel’d’Hiv. Il y a eu le Lycée Buffon, fondé en 1885 et situé dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Mais aussi l’école Violet, première école privée à Paris, qui formait des ingénieurs en électricité et qui s'appelait ainsi parce qu'elle se situait dans la rue Violet. Autre équipe de hockey sur glace corpo issue de l’enseignement : celle du Lycée Sainte-Croix fondé par les Pères de Sainte Croix en 1856 dans le quartier des Ternes, avant que le collège s’installe définitivement à Neuilly dix ans plus tard. Ecole ouverte sur le monde, Sainte Croix n’a donc pas hésité à former à cette époque une équipe de hockey sur glace car elle soutenait la pratique sportive de ses élèves.
Ajoutons le Lycée Stanislas (souvent appelé « Stan » par ses élèves) qui avait lui-aussi des joueurs de hockey défendant ses propres couleurs au Vel’d’Hiv.
L’Ecole Centrale a succombé également à la fièvre du hockey sur glace entre les deux guerres en créant sa propre section qui jouait aussi sous la grande verrière du vélodrome. Parmi les clubs de hockey corporatifs qui jouaient régulièrement au Vel’d’Hiv, il y avait aussi « L’École alsacienne » qui est un établissement d'enseignement privé laïc sous contrat d'association avec l'État situé dans le 6ᵉ arrondissement de Paris.
Bref, en organisant le premier tournoi national corporatif de hockey sur glace à Brive, il y a deux ans, ses initiateurs espérèrent remettre au goût du jour le hockey sur glace corporatif d’autant que beaucoup ignorent que la France a été sacrée championne du monde de hockey sur glace corpo ! En effet, une sélection tricolore a remporté les premiers Jeux Mondiaux d’hiver de médecine qui eurent lieu dans la station de Font Romeu en 1979. Dans cette équipe composée de joueurs appartenant au corps de santé (étudiants en médecine, vétérinaires, docteurs, etc), il y avait à l’époque : Christophe Caron (Amiens), Joël Godeau (Saint-Gervais), Michel Heidet (Avignon), Pierre Orcet (Grenoble), Bernard Kreitmann (Avignon), Pascal Waroquet (Amiens), Jean-Jacques Hascoet (Caen) et Bruno Marty-Ané (Montpellier). Les deux gardiens étaient : Thierry Hascoet (Caen) et Antoine Rophé (Asnières).
Si ce titre mondial corpo remporté par la France est passé totalement inaperçu à l’époque et reste oublié aujourd’hui, il a laissé en revanche des souvenirs inoubliables à tous les participants de cette compétition au sommet, c’est le cas de le dire ! En effet, le seul but, sur cette patinoire d’altitude des Pyrénées, perchée à 1800 mètres, était de se divertir lors de ce « Mondial » en défendant l’honneur de sa corporation. Nos hockeyeurs de la santé aimeraient bien que cette anecdote soit une piqure de rappel pour permettre une renaissance du hockey sur glace corporatif.
Depuis plus de quarante ans Tristan Alric a été l’acteur et le témoin privilégié de l’évolution du hockey sur glace en France. D’abord comme joueur puis comme arbitre. Ensuite, en devenant le journaliste spécialiste du hockey sur glace dans le quotidien sportif L’Equipe pendant plus de vingt ans. Auteur de nombreux livres et d’une récente encyclopédie qui font référence, Tristan Alric a marqué également l’histoire du hockey français en étant le créateur de la Coupe Magnus et des divers trophées individuels. Avec un tel parcours, il est donc bien placé pour avoir une analyse pertinente sur notre sport favori. Le site Hockey Hebdo est donc heureux de lui permettre de s’exprimer régulièrement dans cette rubrique.