Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je suis pour une réduction plus importante du nombre des
renforts étrangers dans le hockey sur glace français. A commencer dans le championnat professionnel de la Ligue Synerglace Magnus où le quota autorisé ne devrait pas dépasser, à mon avis,
six renforts au maximum.
Mais, je reste lucide ! Pour réduire le nombre de renforts étrangers à six (au lieu de dix actuellement), il faudrait donc incorporer
quatre joueurs français supplémentaires dans chaque équipe. De plus, ces derniers devraient avoir un niveau de jeu réellement compatible avec celui de la Ligue Magnus. Cela veut donc dire que dans le championnat de France élite, qui comporte douze clubs, la gageure est de pouvoir trouver arithmétiquement un total de
48 nouveaux joueurs compatibles formés localement (JFL).
Dans le contexte actuel, cette éventualité est illusoire puisqu’il est impossible pour l’instant de trouver assez de joueurs français ayant un niveau suffisant à cause de l’absence d’une formation généralisée et performante
dans tous les clubs. Ne cherchons pas plus loin la raison principale de la faiblesse endémique du hockey sur glace français ! C’est pour cette raison qu’il faut avoir la lucidité et l’honnêteté de reconnaître que certains de nos hockeyeurs, qui évoluent actuellement dans les douze équipes de la Ligue Magnus, sont recrutés uniquement pour « faire le nombre » afin de respecter le quota imposé par la FFHG.
Cela dit, j’observe avec satisfaction que ces joueurs, ayant un rôle ingrat et très frustrant de simples « figurants », sont actuellement un peu mieux considérés. Sans doute grâce aux absences de certains titulaires qui ont été indisponibles à cause de la pandémie du Covid, mais aussi à une meilleure qualité de ces suppléants.
Quoi qu’il en soit, réduire à
six les renforts étrangers dans le championnat de France élite n’est donc pas possible pour le moment au risque
d’appauvrir et
d’assécher de facto les divisions inférieures, ce qui provoquerait une baisse supplémentaire du niveau de jeu de ces championnats déjà fortement ponctionnés.
Une solution parait pourtant évidente pour résoudre cet épineux problème ! Dans la Ligue Magnus, mais aussi dans toutes les autres divisions, les hockeyeurs français devraient être à la fois plus nombreux et obligatoirement beaucoup plus compétitifs pour pouvoir encore réduire les quotas des renforts étrangers autorisés. Pour arriver à ce stade, il faudrait dans l’idéal que
tous les clubs de notre pays puissent se doter d’un
centre de formation local et performant.
Mais c’est là que le bât blesse ! Car, il ne faut pas rêver, le problème récurrent dans notre sport, c’est que la grande majorité des clubs fonctionnent avec des moyens financiers limités et des budgets souvent très tendus, voire même parfois déficitaires. Cette faiblesse budgétaire endémique ne permet donc pas à
l’ensemble de nos clubs de se doter pour l’instant d’une telle organisation de détection qui nécessite un investissement, à la fois financier et humain, non négligeable. Du coup, la plupart des clubs français se résignent pour le moment à fonctionner avec les moyens du bord et se contentent de solutions hybrides moins ambitieuses.
Ce n’est pas sans raison s’il existe à ce jour dans le hockey sur glace français seulement
quatre centres de formation labélisés « clubs professionnels U21 » ayant obtenu l’agrément ministériel du haut niveau. Ils se trouvent tous logiquement dans le championnat de la Ligue Magnus à savoir :
Amiens,
Angers,
Grenoble et
Rouen. En effet, ces quatre grands clubs, grâce à leur politique de formation volontariste et grâce surtout à leurs moyens financiers beaucoup plus importants, sont devenus des figures de proue exemplaires qui ont été capables de se doter enfin d’un centre de formation local renommé et attractif. Chronologiquement ce fut le cas d’abord de Grenoble et de Rouen à partir de 2006, puis d’Amiens et d’Angers depuis 2017.
La création d’un centre de formation, au-delà du problème financier crucial, est avant tout le résultat d’un
choix stratégique à long terme puisque le but principal est de répondre à une volonté d’intégrer des joueurs issus de sa propre formation au sein de son effectif élite. En d’autres termes de permettre à un club de se régénérer au fur et à mesure des saisons pour assurer le renouvellement des générations et donc à de jeunes hockeyeurs de performer avec un double projet : A la fois pratiquer leur sport favori tout en poursuivant un cursus scolaire adapté et encadré.
Pour les joueurs les plus talentueux (qui veulent bien rester dans notre pays), le centre de formation représente donc une « antichambre », autrement dit la dernière étape avant une éventuelle carrière sportive qui sera plus ou moins performante selon les cas.
Mais les clubs français sont confrontés à la dure réalité. Car la création d’un centre de formation nécessite en premier lieu forcément un investissement financier important. Pour donner des exemples, le budget global de fonctionnement du centre de Rouen s’élève à
290 000 euros, celui de Grenoble à
250 000 euros, celui d’Amiens à
150 000 euros et celui d’Angers à
120 000 euros. Ce n’est pas à la portée de tous les clubs !
Car il faut savoir que pour être labellisé un centre de formation doit répondre à un cahier de charges très précis et contraignant avec des objectifs sportifs et financiers imposés à l’avance pour une capacité maximale de
25 joueurs âgés de moins de 21 ans. D’autre part, l’encadrement du centre de formation ne se limite pas seulement à un entraîneur principal et à ses adjoints, mais il faut également la présence d’un staff médical, d’un préparateur physique, d’un responsable du matériel, et surtout d'un manager-général appelé directeur (sans diplôme exigé) s'étant engagé à minima pour un mi-temps qui, dans les faits, ne suffit pas tant cette tâche est chronophage !
Les 25 joueurs présents dans le centre de formation payent des frais d’inscription qui peuvent varier selon les cas entre
5000 et
1300 euros à l’année selon les clubs et en fonction du statut de ces jeunes s’ils sont pensionnaires ou non. Ce droit d’entrée leur permet, outre les entraînements spécifiques du centre, de participer non seulement à des matches de championnat junior ou de la Division inférieure locale, mais aussi de s’aguerrir dans des clubs « réserves » des Divisions 1 et 2 comme c’est le cas pour le centre de formation grenoblois avec
Chambéry et
Vaujany, pour le centre angevin avec
Cholet, pour le centre amiénois avec
Neuilly-sur-Marne et pour le centre rouennais avec
Caen.
Dans ces quatre centres de formation, il y a chaque saison beaucoup de prétendants à une future carrière pro mais la concurrence est rude. Pour les plus chanceux, à la fin de leur cursus dans le centre de formation, ils vont pouvoir intégrer sous contrat la Ligue Magnus qu’ils ont déjà testé comme l’explique Guy Fournier le manager des Dragons normands : « A Rouen, le quatrième bloc de notre équipe professionnelle est uniquement réservé aux joueurs de notre centre de formation. Ensuite, s’ils en sont capables, nos jeunes espoirs monteront petit à petit dans la hiérarchie en fonction de leur rendement sportif. Pour les autres, ils essayeront de trouver un autre club d’un niveau plus accessible. »
Cette introduction progressive des meilleurs jeunes espoirs français s’applique dans les quatre centres de formation labellisés. Mais pour les autres clubs c’est le championnat de France juniors, notamment U20 élite qui sert d’apprentissage. Dans la Ligue Magnus, il est symptomatique de constater, sans que ce soit péjoratif, que les entraîneurs-chefs des quatre centres de formation sont presque tous étrangers avec le slovène
Edo Terglav à Grenoble, le finlandais
Ari Salo à Rouen et le slovaque
Miroslav Kecka à Amiens. Ces derniers bénéficient, à juste titre, d’une reconversion après leur longue carrière en France, leur compétence et leurs services rendus à notre pays. Seul le club d’Angers a fait confiance au coach français
Alexis Billard qui est l’assistant de l’américain Ethan Goldberg dans l’équipe professionnelle.
Mais ce n’est pas la nationalité qui doit poser question. Ce qui compte, c’est la volonté clairement affichée d’un entraîneur de vouloir
s’investir à fond par passion qui est déterminante pour pouvoir transmettre son savoir avec efficacité aux futures générations. C’est ce critère de base important qui influe sur la désignation du principal entraîneur du centre de formation. Il faut quand même souligner que c’est dans cet état d’esprit exaltant que travaillent sans aucune frustration plusieurs coaches français à leurs côtés. Il y a par exemple à Grenoble
Fabrice Texier et
David Alves Pereira, à Rouen
Rémi Peronnard, à Angers
Pierre Sanchez et
Landry Macrez ou encore à Amiens
Anthony Mortas et
Mathieu Mille. Je tiens à leur rendre hommage !
Car il faut savoir que travailler comme entraîneur dans un centre de formation relève d’un véritable
sacerdoce ! En effet, être coach dans ce genre d’organisation, qui dépend soit de la section professionnelle, soit du hockey mineur, c’est accepter de mettre son égo de côté pour exercer un
métier de l’ombre. Un rôle certes exaltant pour les altruistes, mais dont il ne faut pas attendre à avoir personnellement des retombées valorisantes en termes de reconnaissance. Ces entraîneurs doivent donc accepter un relatif anonymat car dans un centre de formation il n’y a pas l’exposition et « l’excitation du banc » puisqu’il s’agit d’un travail de détection avant tout collectif.
Pour utiliser une métaphore, ce qui est valorisé dans le centre de formation, c’est avant tout le « projet immobilier d’ensemble », mais ce n’est pas
l’architecte. En d’autres termes, c’est un métier à contraintes où on s’occupe uniquement des fondations et où il faut être prêt à se sacrifier périodiquement sur le plan des horaires et sur le plan financier et que le fruit du travail soit récolté ultérieurement par d’autres.
Enfin, les dirigeants des clubs doivent avoir conscience que l’apprentissage des jeunes espoirs dans un centre de formation n’est pas forcément rémunérateur pour le club car, malgré l’argent qu’ils investissent sur la formation des joueurs, il
n’existe pas de frais de transfert pour espérer un retour financier sauf rupture de contrat. En effet, si un hockeyeur respecte son temps de convention (3 ou 4 ans), il peut partir libre s’il n’a pas reçu de proposition du club qui l’héberge. Toutefois, le club formateur est règlementairement prioritaire s’il désire l’engager.
Bref, on l’a compris, un centre de formation est pour tous nos clubs
un rêve exigeant ce qui explique encore sa rareté dans le hockey sur glace français pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. Mais pour se doter d’un outil aussi indispensable, nos dirigeants devraient appliquer en priorité une
politique à long terme en acceptant avec patience ses contraintes et ses sacrifices pour garantir un renouvellement plus large et efficace des générations. La multiplication des centres de formation est
urgente dans le hockey sur glace français pour que ses clubs, encore dépourvus de cet outil, n’aient plus la tentation de se transformer en « coucou » en allant piller sans vergogne, comme c’est parfois le cas, les joueurs des clubs adverses.
Bien sûr, il faut mentionner qu’il existe actuellement des alternatives complémentaires avec neuf centres reconnus également «
Pôle espoir U18 » : Amiens, Angers, Caen, Cergy, Gap, Grenoble, HC74, Rouen et Strasbourg. Mais il faut noter que pour rester dans Ligue Magnus les clubs engagés dans ce championnat devraient répondre théoriquement à un cahier des charges concernant leur pôle espoir or ce n’est pas encore le cas de tous ! Je prendrais un seul exemple : celui très évocateur du club de Nice qui, à cause d’un problème d’effectif, est obligé, pour pouvoir former
une seule équipe, de regrouper tous ses U20, ses U17 et ses U15 ! Avec un budget global de 950 000 euros, pour rester dans la Ligue Magnus le club azuréen devrait théoriquement payer une pénalité de 30 000 euros qui, si elle était appliquée, l’obligerait à se retirer du championnat élite.
De plus, beaucoup de clubs de niveau inférieur, qui ne bénéficient pas d’un bassin de population suffisant contournent le problème de la formation en créant actuellement des « ententes ». Avec des accords de licence bleues, les moins de 23 ans peuvent doubler le nombre de rencontres pour acquérir de l’expérience en jouant avec et contre des joueurs plus expérimentés.
Hormis les clubs de la Ligue Magnus déjà cités, il a de nombreux accords de partenariat comme par exemple Deuil-Garges, ACBB-Meudon, Evry-Viry, Garges-Français-Volants, Mulhouse-Colmar. Je pourrais en citer encore bien d’autres ! Il existe d’autres accords parfois régionaux comme le HCLR Clermont-Roanne-Lyon ou le HC74 qui regroupe Megève, Morzine, Saint-Gervais et Chamonix.
Autre exemple parmi tant d’autres : la triple entente en U17 qui regroupe les clubs de Nantes, La Roche-sur-Yon et Châtellerault pour pouvoir composer une seule équipe ! Mais ces regroupements, certes pragmatiques et bien utiles pour pouvoir s’inscrire dans nos divers championnats, ne fait que mettre en réalité « la poussière sous le tapis » afin de compenser le problème de la
formation locale.
Après ce constat édifiant sur la formation dans nos clubs, je ne jette surtout pas la pierre aux dirigeants concernés car ils font ce qu’ils peuvent. Mais il ne faut pas chercher plus loin la principale cause de la faiblesse du hockey sur glace français par rapport aux autres pays européens. Si des nations comme la Suisse, l’Allemagne ou les pays de l’est de l’Europe sont beaucoup plus forts que nous, c’est parce qu’ils ont d’abord une culture et une tradition de hockey sur glace beaucoup plus importantes mais aussi un vivier local
beaucoup mieux exploité.
En mettant une priorité absolue à la formation dans chaque club, ils ne sont pas obligés, comme en France, de se contorsionner et faire le grand écart pour mutualiser leurs efforts. Contrairement au dicton qui dit que « L’union fait la force » former des joueurs par procuration en multipliant à l’infini les ententes pour avoir des effectifs suffisants est, à mon avis, une solution de facilité qui ne fait que
prolonger le handicap dont souffre le hockey sur glace français.