- GRENOBLE ET ANGERS ÉTAIENT PROGRAMMÉS ! -
A l’occasion de la série finale de la Ligue Magnus qui vient d’opposer Grenoble et Angers pour la toute première fois à ce stade de la compétition, je ne vais pas revenir dans cette Tribune sur les résultats des matches, ainsi que sur l’attribution du titre de champion de France, qui feront certainement l’objet de nombreux commentaires.
Je préfère approfondir l’analyse de cet événement sportif en rappelant des faits marquants très révélateurs survenus pendant des saisons précédentes dans les deux grands clubs finalistes. En effet, certains épisodes bien particuliers ont resurgi dans ma mémoire car ils furent à mon avis annonciateurs de ce duel au sommet passionnant qui vient de se disputer alternativement sur la patinoire Polesud de Grenoble et l’IceParc d’Angers.
Au lieu de parler prosaïquement des statistiques de cette confrontation, j’ai choisi volontairement un angle journalistique plus original et plus égalitaire que la traditionnelle et inévitable célébration du seul club vainqueur même s’il mérite nos plus chaudes félicitations ! Car ce qui me semble beaucoup plus intéressant, c’est d’expliquer aux lecteurs de cette tribune qui sont peut-être encore néophytes, ainsi qu’aux supporters dont la mémoire historique serait un peu défaillante, que la présence des « Brûleurs de Loups » de Grenoble et des « Ducs » d’Angers dans cette série finale ne doit rien au hasard.
Pour les observateurs avertis du hockey sur glace français ce duel entre ces deux clubs ne fut pas en effet une grosse surprise compte-tenu de leurs parcours respectifs depuis plusieurs saisons.
En d’autres termes, Grenoble et Angers nous avaient clairement « annoncé la couleur » car ils étaient programmés depuis longtemps.
ANGERS EST UN DANGER PERMANENT
Concernant d’abord Angers qui tentait de remporter pour la première fois la Coupe Magnus, il faut se souvenir qu’au cours de l’année 2006, une nouvelle page très importante se tourna dans l’histoire, non seulement du hockey sur glace français avec la création de la FFHG, mais aussi du club d’Angers avec l’arrivée à la présidence de Michaël Juret que l'on voit sur la photo ci-dessus. Ce jeune gérant d’une société immobilière, âgé à l’époque de 32 ans, n’était pas un inconnu sur le plan local puisqu’il avait été d’abord un joueur de hockey avec son frère Sébastien avant de se reconvertir ensuite comme arbitre de bon niveau pendant plus de quinze ans !
En effet, il faut se souvenir que Michaël Juret avait dirigé plusieurs matches de championnat, notamment en élite. Il avait eu l’occasion d’arbitrer en particulier l’ultime match de la finale qui opposa Anglet et Rouen en 2001 en tant que juge de ligne en compagnie du regretté Damien Velay et sous la direction du Head Lionel Macron. La présence sur la glace basque de l’actuel président d’Angers lui a donc permis d’assister à la remise de la Coupe Magnus aux Dragons normands qui fêtèrent à cette occasion leur sixième sacre national. On se doute que ce spectacle lui aura donné des idées bien plus tard… Car en menant d’abord une carrière sportive patins aux pieds, Michaël Juret prouva que « bon sang ne saurait mentir » puisque, pour l’anecdote, sa mère Marie avait elle-même joué au hockey sur glace dans sa jeunesse à Colombes ! Il n’allait donc pas se contenter de l’arbitrage et il s’impliqua plus encore comme dirigeant cette fois.
Il faut préciser que Michaël Juret, en raison de son investissement financier personnel assez conséquent, ne se contenta pas de prendre ensuite la présidence de la section hockey sur glace du club des sports de glace angevin mais il accepta de mettre la main à la poche à condition de devenir également le président général de l’ASGA afin d’avoir les coudées franches pour pouvoir mener à bien sa politique. Michaël Juret remplaça donc à lui tout seul un triumvirat qui était jusqu’ici composé par Daniel Thibault (hockey pro), Yann Houeix (hockey amateur) et Jérôme Nalliod-Izacard (ASGA).
On notera que l’ascension des Ducs d’Angers démarra à cette période précise car lorsque Michaël Juret prit la présidence, le club d'Angers avait 30 000 euros de partenariats privés. Or, quatre ans plus tard, la section hockey de l’ASGA totalisait la somme de 350 000 euros grâce notamment à son sponsor historique, le fabriquant de camions Scania, mais aussi grâce au cabinet d'assurances Foch Courtage et l’entreprise de construction de maisons individuelles Pierre de Loire dirigée par Michaël Juret. Le défi était lancé qui s’est concrétisé par la création récente, au mois de septembre 2019, de la nouvelle patinoire IceParc.
Sur le plan sportif, je rappelle que le club d’Angers vient par ailleurs de réaliser l’exploit de participer cette saison à sa cinquième série finale après avoir échoué à quatre reprises : d’abord contre Rouen en 2010 puis en 2013, ensuite contre Briançon en 2014 et à nouveau contre Rouen en 2016.
De plus, il faut souligner que les Ducs ont remporté cette saison la Coupe de France disputée exceptionnellement sur la patinoire de Cergy face à Gap. Une Coupe de France que le club d’Angers avait déjà remporté face à Epinal en 2007 lorsque la finale de la Coupe de France fut organisée pour la première fois dans la grande patinoire de Bercy, puis encore face à Rouen en 2014. Bref, si j’ajoute quelques trophées individuels remportés par ses joueurs en Ligue Magnus, le club d’Angers fait incontestablement partie des piliers actuels du championnat élite.
GRENOBLE UN CHAMPION BRÛLANT !
Concernant maintenant le club de Grenoble qui vient de disputer sa dixième série finale et qui visait un huitième sacre, on se souvient que lors de la fameuse saison 2008-2009, le club de l’Isère avait réalisé un exploit sportif retentissant en s’adjugeant un « grand chelem » historique et inédit en senior en remportant à la suite le match des champions, la Coupe de la ligue, la Coupe de France et le championnat de la ligue Magnus. Si l’on ajoute la nouvelle victoire de Grenoble lors du match des champions organisé au début de la saison suivante sur la patinoire de Mulhouse au mois de septembre 2009 face à Briançon, le club du Dauphiné remporta donc cinq trophées nationaux d’affilée au cours de la même année. Du jamais vu !
Cette fameuse équipe grenobloise, dirigée à l’époque par l’entraîneur suédois Mats Lusth, était composée de la façon suivante. Gardiens : Eddy Ferhi, Lucas Normandon, Sébastien Raibon. Défenseurs : Baptiste Amar, Calle Bergström (SUE), Jason Crossman, Antonin Manavian, Maxime Moisand, Alexandre Rouleau (CAN), Teddy Trabichet, Viktor Wallin (SUE). Attaquants : Nicolas Arrossamena, Julien Baylacq, Ludek Broz (TCH), Damien Fleury, Johan Forsander (SUE), Mathieu Frecon, Martin Jansson (SUE), Ludek Krayzel (TCH), Martin Masa (TCH), Anders Nilsson (SUE), Raphaël Papa, Mitja Sivic (SLV), Christophe Tartari. Les noms en gras sont ceux des trois joueurs qui, 13 ans plus tard, ont encore fait partie de l’équipe cette saison.
Pendant la saison 2015-2016, soit sept ans après son « grand chelem », le club de Grenoble allait encore inscrire son nom dans le livre des records en réalisant un nouvel exploit sportif qui mérite d’être également rappelé. En effet, cette fois, ce sont les jeunes joueurs des Brûleurs de Loups qui se sont fait remarqués en remportant la même année trois titres de champion de France dans les catégories U15, U18 et U20. Ce nouveau triple coup d’éclat, qui associe le hockey mineur et l’antichambre des pros, est également inédit. Si cette belle performance est à mettre au crédit des divers entraîneurs grenoblois qui étaient Jean-François Dufour et Julien Baylacq (U20), Antoine Huet (U18) et Romain Carry (U15), le mérite de cet exploit revient aussi à beaucoup d’autres personnes qui œuvraient en coulisses et qui sont bénévoles.
Et pour finir, comment être surpris de la présence à nouveau du club de Grenoble dans la série finale quand je rappelle qu’en 2009 la FFHG demanda qu’un rapport financier régulier soit fait par Jacques Reboh qui assura désormais la présidence du directoire du GMH 38 suite à la démission de Jean-Luc Blache. Cette passation de pouvoir fut déterminante même si Stéphanie Carrel-Magnan assura la présidence jusqu’en 2016. Pendant cette passe très difficile, Jacques Reboh reprit donc le témoin, à l’âge de 48 ans, pour devenir le nouveau président du club de Grenoble. Gérant du groupe immobilier AGDA, ce dernier raconte le contexte de sa prise en main des Brûleurs de Loups : « La présidente se trouvait dans une situation financière très compliquée et elle cherchait une solution économique pour maintenir le club à flot après plusieurs contrôles fiscaux. Comme elle avait épuisé tous les recours, je lui ai proposé de reprendre la quasi-totalité du capital en m’engageant à redonner une santé financière dans les années à venir. »
On connait la suite : le club de Grenoble, qui peut se vanter d’avoir un centre de formation très performant, fut sacré champion de France en 2019 et il ne cessa depuis de devenir un des leaders incontestés de la Ligue Magnus. On ne pouvait donc pas être surpris là encore de le voir briller de la sorte cette saison. Que de chemin parcouru et de beaux succès depuis l’arrivée du légendaire canadien Pete Laliberté en 1963 dans l’ancienne patinoire du Boulevard Clémenceau !
Et le président Jacques Reboh voit encore plus grand en déclarant, juste après le nouveau sacre, que son objectif « c’est un titre tous les trois ans, voire tous les deux ans en remportant aussi la Coupe de France ! » Devenu un dirigeant très ambitieux, il a également confié récemment dans le journal local du Dauphiné Libéré : « Je confirme que la saison prochaine, on sera encore en compétition dans la Ligue Magnus. Mais la saison d’après, on ne sait pas… »
Une menace de départ à peine voilée du championnat de France qui laisse entendre que le président isérois verrait bien les Brûleurs de Loups jouer, pourquoi pas, dans le circuit professionnel continental de la KHL ! Mais, parfaitement conscient des conséquences financières énormes que cette hypothèse entraînerait, Jacques Reboh songerait plus raisonnablement d’inscrire son équipe senior professionnelle dans la Alps Hockey League. L’AHL est une compétition de hockey sur glace créée en 2016 qui compte 17 équipes (9 autrichiennes, 7 italiennes et 1 slovène).
Encore faut-il que les très nombreux supporters grenoblois adhèrent à ce nouvel objectif qui serait une véritable « révolution de palet ».
Depuis plus de quarante ans Tristan Alric a été l’acteur et le témoin privilégié de l’évolution du hockey sur glace en France. D’abord comme joueur puis comme arbitre. Ensuite, en devenant le journaliste spécialiste du hockey sur glace dans le quotidien sportif L’Equipe pendant plus de vingt ans. Auteur de nombreux livres et d’une récente encyclopédie qui font référence, Tristan Alric a marqué également l’histoire du hockey français en étant le créateur de la Coupe Magnus et des divers trophées individuels. Avec un tel parcours, il est donc bien placé pour avoir une analyse pertinente sur notre sport favori. Le site Hockey Hebdo est donc heureux de lui permettre de s’exprimer régulièrement dans cette rubrique.