Il y a deux ans, dans ma
toute première « Tribune Libre », j’avais écrit que la nomination de
Philippe Bozon comme nouvel entraîneur national de l’équipe de France senior avait suscité de nombreuses critiques. Les reproches à son égard étaient la conséquence du résultat très décevant de notre sélection nationale lors des Championnats du Monde élite organisés à Kosice en 2019. En effet, les Tricolores, dirigés pour la première fois par Philippe Bozon, avaient été brutalement écartés de la cour des grands à l’issue du tournoi en Slovaquie et relégués dans la
Division 1.
J’avais regretté à l’époque que ses détracteurs n’aient pas pris en compte les circonstances particulières auxquelles l’ex-international avait dû faire face avant d’émettre des jugements aussi sévères. Les supporters de l’équipe de France, qui attendaient beaucoup du successeur du canadien Dave Henderson, n’ont pas pris des gants et nuancé leurs propos pour exprimer leur grand dépit.
Je peux comprendre la désillusion générale car depuis la victoire de la sélection tricolore à Qiqihar en Chine en 2007, nos représentants, profitant de leur grand retour dans la cour des grands la saison suivante (après sept ans d’absence), avaient réussi ensuite la performance de rester dans l’élite planétaire pendant
douze années consécutives. Qui plus est avec l’aide d’un seul renfort naturalisé ! Ce fut la plupart du temps le franco-canadien Julien Desrosiers.
Mais il faut se souvenir que cette belle série a parfois relevé du miracle grâce à une génération de hockeyeurs français accrocheurs et très motivés lorsqu’ils étaient au pied du mur. Ce parcours toujours « sur le fil de la lame » contre les meilleures nations du monde a pu se poursuivre aussi longtemps grâce également à l’excellent management de Dave Henderson et son fidèle adjoint Pierre Pousse qu’on ne remerciera jamais assez !
Un renouvellement des cadres ayant été décidé en 2018 par la FFHG après la retraite de Dave Henderson, elle entérina donc la nomination de
Philippe Bozon comme nouvel entraîneur national des seniors. Manque de chance pour ce dernier, la présence permanente des Tricolores dans l’élite mondiale s’est donc achevée dès son arrivée lors du Tournoi de 2019 en Slovaquie. Une relégation d’autant plus mal vécue qu’elle résulta d’une incroyable défaite contre la Grande-Bretagne alors que l’équipe de France menait 3-0 à la moitié du match ! N’étant pas lui-même sur la glace, Philippe Bozon devait-il être désigné comme le seul et unique responsable de cet échec impardonnable ?
Certains rétorquent que « c’est le général qui commande la troupe ». D’autant que Philippe Bozon avait estimé que sa nomination présentait un avantage en expliquant avec une certaine assurance : « Avec moi, les joueurs vont venir pour le maillot ! » Dans ce cas, un problème de communication se pose-t-il entre le coach des Tricolores et ses joueurs ? On peut se poser la question. La pandémie ayant figé la situation pendant deux ans le réponse reste en suspens.
Mais si une chose est incontestable à mon avis, c’est que Philippe Bozon est un très bon technicien qui connait parfaitement le hockey sur glace pour l’avoir pratiqué à différent niveaux et sous la direction de nombreux coaches professionnels dans plusieurs pays. Ce fut le cas d’abord en France à ses débuts puis au Canada, aux Etats-Unis (avec les Blues de Saint-Louis dans la NHL), en Allemagne (il fut champion avec Mannheim en 1997, 1998, 1999) et en Suisse, autant de pays où ce sport est beaucoup plus populaire et très exigeant dans sa pratique.
Quoi qu’il en soit, ce que certains reprochent en coulisses au natif de la Haute-Savoie, relève plus d’un aspect de sa
personnalité que de sa compétence qui serait absurde et injuste de remettre en cause. Ils évoquent en effet un manque de « transcendance » dans sa manière de communiquer qui l’empêche de sublimer réellement nos Tricolores. Il ne mettrait pas « l’emphase » qui serait nécessaire pour les obliger à se surpasser sur la glace. Philippe Bozon, qui a son caractère, n’est-il pas assez fin psychologue dans ses rapports avec ses joueurs ? Encore faut-il que nos internationaux, qui sont des professionnels, soient eux-mêmes capables d’être motivés et de se prendre également en charge pendant les matches.
Mais, concernant la communication de Philippe Bozon, si c’est vraiment le problème, je reste certain qu’il a fait des efforts pour améliorer sa nature et corriger le tir pour obtenir enfin une adhésion encore plus grande de ses joueurs lors de ce mondial inespéré après le repêchage des Tricolores.
Comme dit le proverbe : « La critique est facile mais l’art est difficile ! Ses détracteurs ne manquent pas toutefois de rappeler également, en tournant la crosse dans la plaie, que lors du tournoi de qualification olympique organisé à Riga au mois d’août 2021, pendant lequel Philippe Bozon était derrière le banc, ces derniers ont été battus par la Lettonie lors du match crucial (2-1). Cet échec les a privés une fois encore des
jeux olympiques d'hiver de Pékin en 2022. Or, c’était un des objectifs prioritaires de la FFHG.
On oublie de préciser à sa décharge que lors de cette défaite très serrée contre la Lettonie nos représentants ont dû livrer un combat de haute intensité qui aurait pu faire basculer favorablement leur destin en ayant, il est vrai, beaucoup de chance compte-tenu du niveau élevé de l’adversaire qui avait le grand avantage de jouer à domicile devant son public.
Philippe Bozon déclara juste après ce tournoi qui l’a beaucoup déstabilisé à son poste et surtout moralement : « Tout le monde était prêt à mourir sur la glace. Je peux vous dire qu’actuellement c’est très difficile dans le vestiaire, les joueurs sont complètement effondrés. C’est le rêve de toute une génération qui s’envole… »
Ce fut effectivement un nouveau coup très dur car l’équipe de France était déjà absente lors des quatre Jeux olympiques d’hiver précédents : Turin (2006), Vancouver (2010), Sotchi (2014) et Pyeongchang (2018). Depuis sa dernière participation lors des J.O. de Salt Lake City en 2002, cela fait donc
vingt ans que le hockey français tente en vain de revenir aux Jeux olympiques, autant dire une éternité !
Lors de sa nomination,
Philippe Bozon a bénéficié incontestablement de son aura et de sa grande réputation après une carrière exceptionnelle comme hockeyeur. Un parcours exemplaire qui lui valut d’être élu
à juste titre au Hall of Fame de l’IIHF et au Temple de la renommée de la FFHG. En toute objectivité, qui n’aurait pas été tenté d’utiliser les services d’un joueur aussi célèbre et expérimenté ayant de surcroit la nationalité française ? Peut-être fallait-il porter un jugement factuel plus approfondi concernant son nouveau parcours d’entraîneur au cours des années précédentes ?
Car, il faut bien reconnaître, sans être désobligeant envers l’ancien joueur des Blues de Saint-Louis qui fit notre fierté comme pionnier dans la NHL, que ses résultats dans son nouveau rôle de coach n’ont pas été assez
convaincants pour l’instant compte-tenu de sa notoriété.
Je suis certain que ce dernier admettra en toute objectivité qu’il n’a pas pu prouver jusqu’ici que son nouveau rôle d’entraîneur national de l’équipe de France senior ait répondu véritablement aux attentes à son sujet. Pour preuve, l’interview qu’il a accordé au bord des larmes après le nouvel échec des Bleus lors du tournoi de qualification olympique à Riga. Du coup, le sélectionneur tricolore, a été visiblement très touché par ce nouveau faux-pas qui a fragilisé encore d’avantage sa position.
Une fois de plus, Philippe Bozon a porté involontairement le flanc à la critique et donné un argument supplémentaire à ceux qui avancent comme constat très souvent évoqué dans le sport en général
« qu’un ancien joueur de talent ne sera pas forcément ensuite un bon entraîneur. » On espère encore que Philippe Bozon, qui a mangé son pain noir, parviendra à démentir ce raisonnement.
C’est vrai que les faits sont têtus concernant les résultats de l’entraîneur Philippe Bozon pour qui
, je le répète, j’ai le plus grand respect après avoir suivi toute sa carrière de joueur notamment en NHL lorsque j’étais journaliste à « l’Equipe ». Mais, pour être totalement objectif, je suis obligé de rappeler que sa première expérience derrière le banc comme entraîneur national avec
l’équipe de France junior U20 n’avait pas été déjà couronnée de succès en 2010.
En effet, notre jeune sélection nationale, qui avait pourtant l’avantage de disputer cette année-là les championnats du monde juniors de la Division 1 à domicile (Megève et Saint-Gervais) avait été reléguée dans la
Division 2 après s’être classée sixième et bonne dernière du tournoi. De plus, en 2014, de retour à la tête de l’équipe de France juniors U20 après trois ans d’absence, Philippe Bozon avait dû se contenter cette fois de la troisième place lors du Mondial de la Division 1 organisé à Dumfries en Ecosse.
Au cours de la fameuse année 2010, pendant laquelle nos juniors U20 furent relégués à domicile, Philippe Bozon avait été par ailleurs embauché le 25 janvier par le club suisse de
Lugano, pour lequel il avait auparavant disputé deux saisons en tant que joueur, afin de remplacer au pied-levé Kent Johansson. Ce fut un sacré challenge et une occasion unique pour l’ancien Tricolore de faire ses preuves comme coach dans le championnat suisse de la Ligue A. Mais sous sa direction le club finira malheureusement à nouveau en huitième position. Du coup, au début de la saison suivante, l’ex-international français, à qui on avait laissé encore une chance de rétablir la situation, fut démis de ses fonctions dès le 29 novembre 2010 alors que son équipe était classée 11e et avant-dernière de la LNA et il fut donc remplacé par Mike McNamara…
Toutefois, Philippe Bozon a eu une nouvelle occasion de rebondir la saison suivante puisque le 10 novembre 2011, il devint cette fois le coach du club suisse de
Sierre en Ligue B en remplacement de Morgan Samuelsson qui avait été limogé la veille. Mais à la fin du championnat, dans la presse helvétique, on pouvait lire sur le site internet du journal Le Matin : « Philippe Bozon n'entraînera pas Sierre la saison prochaine. L'entraîneur français n'avait pas pu redresser la barre du navire valaisan, après avoir remplacé Morgan Samuelsson en novembre dernier. Le club a terminé bon dernier de LNB cette saison, à 16 longueurs d'une qualification pour les play-offs ».
Devait-on condamner pour autant l’ancien international français quand on connait la très mauvaise habitude qu’ont pris les clubs de hockey sur glace suisses de changer très souvent leurs coaches au cours d’une même saison, sans leur laisser le temps nécessaire de faire leur preuve ? Le Français, qui bénéficie pourtant d’une grande réputation comme joueur dans ce pays frontalier, a subi la loi impitoyable du « dégagisme » appliquée par des présidents trop impatients.
Pour continuer à exercer dans son nouveau métier, l’ancienne grande star du Genève-Servette (son numéro 12 a été retiré à jamais du club) a donc essayé de se « refaire » en revenant dans son pays d’origine avec toujours la volonté de réussir. Un rêve encore réalisable. D’autant que lors de la saison 2014-2015, Philippe Bozon, qui se trouvait derrière le banc dans un championnat de France d’un niveau un peu moins élevé, a emmené quand même le club d’Epinal jusqu’à la
série finale de la Ligue Magnus où les « Gamyo » s’inclinèrent contre Gap après une haute lutte qui nécessita sept matches.
Malheureusement, lors de son arrivée dans le club de
Bordeaux où il effectua cette fois un séjour de trois saisons, Philippe Bozon n’a pas pu conserver jusqu’au bout sa belle dynamique en tant que nouveau coach des « Boxers ». En effet, ses joueurs ont échoué d’abord en demi-finales contre Gap à l’issue d’une série en six matches en 2017, puis à nouveau en demi-finales contre Grenoble en sept matches cette fois en 2018. Mais les Bordelais se sont arrêtés la saison suivante dès les quarts de finales en 2019 contre Amiens toujours en sept matches. C’est à cette époque que Philippe Bozon accepta de faire un grand écart inconfortable et sans doute pénalisant en cumulant à la fois le poste d’entraîneur de Bordeaux et celui de l’équipe de France.
Pour revenir aux
Championnats du monde 2022 qui vont bientôt débuter en Finlande avec des Bleus toujours dirigés par Philippe Bozon, le président de la FFHG Pierre-Yves Gerbeau a déclaré dans la presse : « La punition de Kocise en 2019, nous la payons, surpayons et payons encore ! Nous nous sommes liquéfiés contre la Grande-Bretagne. Il n’est donc pas question de fanfaronner ! Il ne faut pas célébrer cette promotion en élite mondiale outre-mesure car on a juste profité de l’exclusion de la Russie et de la Biélorussie. C’est un coup de chance inattendu ! Maintenant, c’est bien pour l’équipe de France et pour nos internationaux. D’un point de vue économique, il vaut mieux être dans la cour des grands que ce soit pour les points du ranking, le prize-money et pour la réputation du hockey sur glace français. »
Le président de la FFHG a été très clair avant le coup d’envoi prochain du Mondial élite : «
La priorité, c’est de ne pas redescendre ! L’Italie (15e) et le Kazakhstan (16
e) sont deux pays qui sont juste derrière nous au classement mondial. Il va falloir assumer ! Il est hors de question de refaire l’erreur de Kosice ! Nous avons eu quinze jours supplémentaires pour nous préparer après l’annulation de notre présence dans le Mondial de la Division 1. A long terme notre objectif c’est que la France soit dans les
huit meilleures nations du monde plutôt que dans les seize. C’est l’objectif ambitieux que mon équipe dirigeante va porter lors des prochaines élections fédérales. C’est un vrai changement, je peux même dire une révolution ! »
Alors, concernant
Philippe Bozon, qui bénéficie encore d’une certaine clémence de nos dirigeants fédéraux compte-tenu de sa brillante carrière de hockeyeur, il est clair que la période de probation arrive à son terme et qu’il va jouer
son va-tout dans ce tournoi. On imagine que pour lui la pression sera énorme car, pour reprendre le titre d’une émission de radio jadis célèbre, la question sera « stop ou encore ? »
L’entraîneur des Bleus a déclaré voici quelques semaines : « Depuis trois ans le contexte de l’équipe de France est bizarre. Certains joueurs tricolores disent encore que le tournoi de qualification olympique est un traumatisme. En tout cas, j’espère qu’ils vont réagir car on va devoir jouer sept matches au lieu de cinq. Cette promotion express et inattendue parmi les meilleures nations du hockey a changé nos plans. Dans le Mondial de la Division 1, on s’était préparé à avoir la maîtrise du palet la majeure partie du temps. Cette fois, en élite mondiale, ce ne sera plus le cas ! »
Comme pour Philippe Bozon
qui devra enfin nous convaincre qu'il est bien l'homme de la situation, tous les supporters de l’équipe de France vont donc attendre avec curiosité et surtout anxiété le verdict final de ce Mondial Elite organisé en Finlande à Helsinki et à Tampere. Tout le monde espère, en croisant les doigts, que notre sélection nationale sera très combative et capable de rester à nouveau dans la cour des grands en profitant de ce repêchage inespéré. C’est le moment ou jamais de mettre « le cœur sur la glace » car l’occasion est trop belle !
Comme logiquement nos deux adversaires les plus « prenables » sont l’Italie et le Kazakhstan, il ne faudra pas se louper lors de ces deux rencontres. Mais il ne faut pas s’interdire également de créer la surprise contre d’autres nations beaucoup mieux classées puisque la France en a déjà été capable dans le passé. Dans un contexte bien différent n’avons-nous pas déjà réussi à battre la Suisse lors du mondial à Bercy en 2017 (4-3) et même le Canada, double champion olympique, lors du mondial de 2014 à Minsk (3-2) qui seront dans notre groupe ?
Par un heureux hasard du calendrier, je viens de m'apercevoir qu'au mois de mai les Championnats du monde élite en Finlande débuteront un
vendredi 13 avec le match d’ouverture France-Slovaquie. J’espère que cette date portera chance à Philippe Bozon et que tous nos meilleurs joueurs pourront être présents.