- LE RECORD DE DEUX COACHS INAMOVIBLES ! -
On se souvient que l’ancien coach du club de Courbevoie, le regretté Thierry Monier, avait été surnommé le « Guy Roux » du hockey sur glace français pour avoir réussi l’exploit de rester pendant 33 ans à la tête des Coqs franciliens ! Son surnom faisait référence au célèbre entraîneur de football devenu également indéboulonnable dans le club de l’AJ Auxerre. Or, il se trouve que cette saison le record de Thierry Monier a été égalé dans le hockey français, simultanément par deux coachs aux parcours sportifs différents, mais qui sont restés eux-aussi très fidèles à leurs clubs respectifs au point de s’être enracinés localement.
Il s’agit du canadien Daniel Bourdages (63 ans) qui continue de diriger sans discontinuer depuis plus de trois décennies « l’Etoile Noire » de Strasbourg en Division 1 et du français Gilbert Ledigarcher (66 ans) qui est également toujours à la tête des « Renards » d’Orléans depuis 33 ans mais en Division 3. La fidélité exceptionnelle de ces deux entraîneurs méritait bien un grand coup de chapeau !
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© Christophe Moreau |
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Daniel Bourdages
La « star » de Strasbourg
Une grande page de l’histoire du club de Strasbourg fut tournée en 1990. En effet, à cette époque le canadien Daniel Bourdages, âgé de 33 ans, entraînait au Québec les Midget AAA du club de Montréal-Bourassa où il avait coaché notamment les futures stars de la NHL comme Patrick Traverse (Ottawa, Boston, Montréal) et Ian Laperrière (Saint-Louis, New York, Los Angeles, Colorado, Philadelphie) mais aussi le jeune espoir français Richard Aimonetto dont j’ai évoqué la longévité dans une tribune précédente. Par ailleurs, Daniel Bourdages avait obtenu un bac en éducation physique et une maîtrise en éduction spécialisée en hockey sur glace à l’université du Québec à Montréal.
Mais un événement inattendu allait bouleverser sa prometteuse carrière de formateur.
En effet, l’épouse de Daniel Bourdages qui est d’origine finlandaise, fut embauchée par le Conseil de l’Europe, dont le siège se trouve à Strasbourg, après l’adhésion de la Finlande à cette institution internationale et qu’il ne faut pas confondre avec le Parlement Européen. Du coup, à la grande surprise des élus de la ville de Montréal, Daniel Bourdages décida de suivre son épouse Marja Ruotanen en France abandonnant ainsi l’espoir de diriger un jour une équipe professionnelle de la NHL.
« La première question que j’ai posé aux habitants de Strasbourg en débarquant de l’avion était de m’indiquer où se trouvait « l’Arena » comme on dit chez nous. Je croyais parler un langage d’une autre planète en arrivant en France car personne ne connaissait ce terme pour parler de la patinoire ! raconte avec amusement Daniel Bourdages. De plus, lorsque je leur demandais des renseignements sur l’équipe de hockey sur glace de Strasbourg personne ne la connaissait ! L’ancienne patinoire du Wacken, ils en avaient à peine entendu parler, mais le hockey pas du tout… »
Daniel Bourdages prit alors rendez-vous avec les responsables du club. Par le fait du hasard, le jour même de son rendez-vous, l’ex-entraîneur le canadien Bruno Gilbert quittait son poste. Les dirigeants proposèrent donc à son compatriote de prendre sa place ce qu’il accepta avec plaisir mais en leur donnant une réponse inattendue. « Ils ont été un peu surpris quand je leur ai proposé de travailler bénévolement pendant six semaines et qu’ensuite seulement on ferait le point ensemble, raconte Daniel Bourdages. Car je voulais être certain que les joueurs étaient sur la même longueur d’onde. »
Le nouveau coach canadien ne fut pas au bout de son étonnement lorsqu’il prit en main les destinées du club de Strasbourg dans lequel l’amateurisme n’était pas un vain mot. « Ce fut un véritable choc pour moi ! A mon arrivée, on en était encore au stade des petits bisous aux copines qui se tenaient le long de la balustrade pendant les entraînements, des joueurs qui s’absentaient ou qui étaient en retard sans donner aucune explication. Bref, c’était en quelque sorte une colonie de vacances… »
Quelques années plus tard, dans un article publié par le journal L’Equipe, intitulé « La longue marche de Bourdages », on pouvait lire ces détails : « A ses débuts à Strasbourg, le Canadien entraînait toutes les équipes du club alsacien. Il perçait au besoin quelques trous dans les murs des vestiaires pour le rangement du matériel. Lui qui avait trimé pour se payer ses études, à ramasser des vers de terre la nuit ou à laver des patients en institut psychiatrique, il offrait des cours du soir à tous les formateurs strasbourgeois pour que tout le monde parle le hockey… »
Daniel Bourdages, qui ne s’imaginait sûrement pas rester aussi longtemps, se lança alors dans un véritable travail en profondeur en imposant une discipline plus stricte pour instaurer dans le club de Strasbourg « du professionnalisme non rémunéré ».
On connait la suite puisque l’inamovible coach de Strasbourg, qui s’est beaucoup investi dans un premier temps bénévolement, connaitra pendant 33 ans de présence dans le club de Strasbourg pas moins de quatre présidents successifs : Gerhard Beck, Bernard Sibieude, Bernard Gozillon et enfin Jean-Paul Hohnadel.
Son long et patient travail de formation en Alsace finira par payer sportivement puisqu’en 2006 (année de la création de la FFHG), le club de Strasbourg fut sacré champion de France de la Division 1 et fut promu pour la première fois de son histoire en Ligue Magnus.
L’équipe professionnelle de « L’Etoile Noire » restera au total treize saisons consécutives dans le championnat de France élite (2006-2019) parvenant à disputer à quatre reprises les quarts de finale et en réussissant l’exploit de disputer en 2011 la série finale de la Ligue Magnus face à Rouen qui s’imposa en trois matches.
Relégué lors de sa 13e saison en Magnus (2018-2019) le club de Strasbourg fut remplacé par Briançon et évolue pour l’instant en Division 1 où il s’inclina en finale contre Marseille en 2021 et reste sur un quart de finale perdu contre Brest en 2022.
On notera que si son fils Samuel Bourdages est parti vivre au Canada après avoir fait son hockey mineur à Strasbourg, son jeune frère Jonas Bourdages est en train de disputer actuellement sa première saison en Division 1 avec l’Etoile Noire de Strasbourg. La relève sportive est donc assurée dans cette famille multiculturelle Franco-canado-finlandaise où il faut ajouter la sœur Ilona même si elle reste spectatrice lors des matches de hockey sur glace.
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© olhg45 |
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Gilbert Ledigarcher
Le « baron » d’Orléans
L’année 1989 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du club d’Orléans avec l’arrivée, ô combien décisive, de Gilbert Ledigarcher qui allait devenir, pendant plusieurs décennies dans la patinoire du Baron, non seulement la cheville ouvrière, mais surtout l’homme providentiel dans une association en proie à l’époque à une instabilité permanente.
Pourtant, lors de son arrivée dans le Loiret personne ne s’imaginait - à commencer par lui-même - que cet ancien défenseur d’Athis-Paray puis de Viry-Châtillon, âgé alors de 32 ans, jouerait pendant si longtemps un rôle primordial au sein d’un club de hockey qu’il venait à peine de découvrir.
Quand il débarqua à Orléans, Gilbert Ledigarcher avait un passé de sportif déjà bien rempli. Gardien de but de football puis escrimeur dans sa jeunesse, il avait découvert le hockey sur glace à la télévision en 1968 à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver de Grenoble. Un jour son frère Patrick l’emmena à la patinoire de Boulogne-Billancourt pour patiner où il assista à des matches de hockey de l’ACBB et ce fut instantanément le coup de foudre. Passionné par le sport d’équipe le plus rapide du monde, il ne quittera désormais plus la glace.
Gilbert Ledigarcher raconte : « J'ai commencé le hockey au club d’Athis-Paray. Dès ma deuxième saison, j'ai joué à Viry-Châtillon où j'ai passé une grande partie de ma carrière. J'y ai fait tout mon hockey mineur et je suis devenu champion de France junior en 1976 lors du fameux tournoi final organisé sur la patinoire de Gap. Mais, j’ai eu également d’autres titres nationaux avec Viry. Au mois de juin 1989, le président d’Orléans Lionel Depois m’a contacté. Comme j’étais en train de divorcer, j’ai profité de ce changement de situation familiale, toujours éprouvant sur le plan psychologique, pour reconstruire une nouvelle vie à Orléans. Lorsque je suis arrivé, au début du mois de septembre, c’était comme joueur (Il sera capitaine pendant cinq ans jusqu’en 1994) mais aussi entraîneur du hockey mineur. »
Etant jusqu’ici fonctionnaire à la cuisine centrale d’Athis-Mons où il exerçait la fonction de chauffeur, Gilbert Ledigarcher demanda alors sa mutation à Orléans. Mais avec le changement de municipalité qui venait de se produire dans la ville du Loiret son transfert professionnel n’a pas pu aboutir. Du coup, simple hockeyeur amateur, il perdit son statut confortable de fonctionnaire. Fort heureusement, la situation très instable du club d’Orléans allait paradoxalement lui permettre de retomber sur ses patins de façon assez inattendue avec, à la clé, une belle reconversion dans son sport favori.
Effectivement, cette année-là un plan de développement fut mis en place par les dirigeants de l'époque qui prévoyait qu’après avoir misé sur les jeunes, un travail important de dix ans de formation et de compétition, devait permettre au club à terme de faire monter son équipe fanion en Division 2.
Ce fut enfin le cas en 1999. Mais vu le contexte local beaucoup plus complexe qu’à Strasbourg, Gilbert Ledigarcher eut divers coachs qui collaborèrent successivement avec lui pour éviter une usure psychologique (Gérard Laspalles, Georges Drapper, Jérôme Pourtanel et Jacques Jugurtha) les Renards d’Orléans durent se contenter d’évoluer plus modestement et alternativement en Division 2 puis en Division 3 qui est le dernier championnat dans lequel ils jouent depuis 2012.
Comme son confrère d’Alsace, Gilbert Ledigarcher connaitra pendant 33 ans de présence dans le club d’Orléans plusieurs présidents successifs mais beaucoup plus nombreux soit dix au total : Lionel Depois, Lucien Georges, Jean-Michel Bedouet, André Lambert, Eric Eberstein, Olivier Ruffier, Laure Henocque, Jérôme Valette, Frédéric Noé et Florence Jones la présidente actuelle.
Si le club d’Orléans n’a pas connu la même réussite sportive que celle de Strasbourg, en se maintenant à un niveau inférieur, le mérite de son inamovible entraîneur et manager reste aussi exemplaire par sa longévité.
Le regretté Thierry Monier n’est donc plus désormais le seul dans l’histoire du hockey sur glace français à avoir été aussi longtemps fidèle à un club. Mais je tiens à rajouter également dans cet hommage collectif le manager général de Rouen Guy Fournier (60 ans) qui, dans un contexte certes différent compte-tenu de ses diverses attributions (joueur, entraîneur puis directeur) vient d’atteindre lui aussi le nombre spectaculaire de 33 ans de présence chez les Dragons Normands en décomptant les années 1996 et 1997 pendant lesquelles il partit jouer momentanément avec le club allemand d’Heilbronner puis à Viry-Châtillon.
Depuis plus de quarante ans Tristan Alric a été l’acteur et le témoin privilégié de l’évolution du hockey sur glace en France. D’abord comme joueur puis comme arbitre. Ensuite, en devenant le journaliste spécialiste du hockey sur glace dans le quotidien sportif L’Equipe pendant plus de vingt ans. Auteur de nombreux livres et d’une récente encyclopédie qui font référence, Tristan Alric a marqué également l’histoire du hockey français en étant le créateur de la Coupe Magnus et des divers trophées individuels. Avec un tel parcours, il est donc bien placé pour avoir une analyse pertinente sur notre sport favori. Le site Hockey Hebdo est donc heureux de lui permettre de s’exprimer régulièrement dans cette rubrique.