- MULHOUSE : LA MORT SÛRE DES SCORPIONS ? -
Comme je l’ai démontré dans ma dernière Tribune en évoquant le retour en force du fief d’Epinal, champion de France de la Division 1 cette saison, l’histoire nous a prouvé à maintes reprises qu’une résurrection est toujours possible pour les clubs de haut niveau qui sont victimes d’un redressement judiciaire ou, plus grave, d’un dépôt de bilan.
Je rappelle que, parmi les douze clubs qui évoluent actuellement dans la Ligue Magnus, ce fut déjà le cas dans le passé de Gap en 1989, Grenoble et Amiens en 1991, Briançon et Bordeaux en 1992, Rouen en 1997, Chamonix et Anglet en 2000, Nice en 2003, Angers en 2006 et enfin Cergy-Pontoise en 2012.
Bref, au cas où on l’aurait un peu trop vite oublié, tous nos clubs professionnels actuels ont connu de gros problèmes financiers à un moment ou à un autre avant de retrouver un budget leur permettant d'évoluer à nouveau dans la vitrine de notre discipline.
Dans l’intérêt de notre sport favori, il faut donc espérer qu’à l’issue de cette période très difficile pour les Scorpions de Mulhouse, ces derniers ne seront pas condamnés à « une mort sûre » lors des prochaines saisons pour reprendre avec un jeu de mots leur slogan officiel qui affirme être « Nés pour piquer ! ». Les hockeyeurs du Haut-Rhin parviendront-ils à se remettre de ce coup très dur ou sont-ils durablement condamnés ? Le président Alain Cheval a confié récemment dans un communiqué : « Le cœur nous pousse toujours à relever les défis, même les plus difficiles et c’est ce que nous faisons depuis plusieurs années. Mais cette fois, la marche semble trop haute. »
Comme on le voit l’ambiance n’est donc pas très optimiste à l’heure actuelle malgré une cagnotte en ligne qui fut lancée sur Leetchi, cinq jours avant la première échéance juridique du mercredi 24 mai, par l’ancienne vice-présidente Corinne Pommier. Cette dernière, qui tente de réunir l’importante somme de 300 000 euros en faisant appel aux dons, n’a pas caché par ailleurs son ambition de reprendre les choses en mains dans l’avenir.
Au vu de la mobilisation générale des acteurs publics et privés ainsi que des supporters, le tribunal de commerce de Mulhouse a donc décidé de donner un délai supplémentaire d’une semaine (jusqu’à la fin mai) à la société des Scorpions pour lui permettre de préparer une table ronde qui réunira toutes les parties concernées pour garantir sa survie.
Cet ultime tour de table devra obligatoirement permettre de monter un projet sportif et financier concret et pérenne à moyen terme et entériner l’engagement sur plusieurs années malgré ce délai très court.
En attendant la suite des événements, je vous propose de se remémorer les grandes heures dans le parcours sportif du club de hockey sur glace alsacien.
L’arrivée dans l’élite il y a 22 ans
Les Scorpions de Mulhouse ont évolué pour la première fois de leur histoire dans la Ligue Magnus lors de la saison 2001-2002. Après une ascension fulgurante dans la hiérarchie du hockey français, le HCM atteignait donc cette saison-là le dernier échelon avec comme unique objectif annoncé par le président Claude Bauer, celui « d’éviter la dernière place ». Pour aborder cette saison les rênes de l'équipe furent confiées à un nouvel entraîneur, le suédois Christer Eriksson qui était l’adjoint du patron de l’équipe de France son compatriote Heikki Leime,
Mulhouse était à l’époque un promu bienvenu compte tenu des défections de Caen et de Viry-Châtillon. Cette accession put se faire grâce à l’obtention d’une rallonge financière de la subvention municipale (240 000 euros au lieu de 137 000) et d’une aide supplémentaire de 38 000 euros sur deux ans, accordée par la Fédération française des sports de glace.
Pour un nouveau promu, les Scorpions connurent finalement une bonne saison. La dernière place n'était pas très significative car Mulhouse termina dans un mouchoir de poche avec Anglet et Angers. De plus, l’équipe senior de Mulhouse put s'appuyer sur un nouveau gardien d'exception, l’international Fabrice Lhenry, en provenance de Milan, qui allait faire parler de lui pendant quatre saisons de suite.
Lors de son séjour à Mulhouse de 2001 à 2005, Fabrice Lhenry, que l'on voit sur la photo ci-dessus, allait réaliser l’exploit d’être sacré meilleur goal de la Ligue Magnus à quatre reprises ce qui lui permit d'égaler le record de Petri Ylonen (5 trophées) puisque Lhenry avait été déjà élu en 1996 à Chamonix. Dans ces conditions, les Scorpions pouvaient espérer franchir un nouveau palier à afin d'aller titiller les grands favoris du championnat.
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Un titre de champion retentissant
La fin de la troisième saison 2003-2004 allait être le théâtre de plusieurs événements majeurs qui allaient marquer à jamais l’histoire du club de Mulhouse. En effet, pour commencer ce fut l’annonce inattendue du départ du célèbre président Claude Bauer, au mois de septembre 2004, pour des raisons à la fois professionnelles et familiales. Son départ fit l’effet d’une bombe. Ce dernier, qui avait créé les Scorpions, fut donc remplacé par son bras droit Paul Heyberger.
Mais la deuxième bombe éclata à l'issue de la saison 2004-2005 puisque le club de Mulhouse, sous la direction de son célèbre entraîneur Christer Eriksson, et avec un Fabrice Lhenry très impressionnant devant la cage, remporta la Coupe Magnus qui fut le premier et unique titre de champion de France de son histoire. Pour se faire le club prit de très gros risques puisque c’est une véritable armada qui vint s’installer dans la patinoire alsacienne.
La première grosse pointure annoncée fut l’attaquant canadien Ryan Christie (en provenance d’Italie) qui pouvait se vanter d’être le premier joueur de Mulhouse à avoir évolué dans la NHL avec les Stars de Dallas et les Flames de Calgary.
On apprit ensuite la venue du défenseur finlandais Jukka Hakkarinen et celle de la grande vedette tricolore Maurice Rozenthal (sacré à trois reprises meilleur joueur français avec Amiens) qui posa également ses valises à Mulhouse. La course à l’armement continua de plus belle avec le retour du Franco-canadien Olivier Coqueux après un bref séjour en Allemagne. Le président Paul Heyberger se montra rassurant à l’époque en parlant de « risque calculé… »
Mais les surprises continuèrent ! En effet, le championnat nord-américain de la NHL étant paralysé à cause d’une grève mémorable, ce fut d’abord le défenseur de Calgary Steve Montador, un ami de Ryan Christie, qui débarqua à la mi-septembre à l’occasion du match à domicile contre Dunkerque (qu’il ne joua pas) au cours duquel il se vit officiellement remettre un maillot frappé du numéro 5. Puis ce fut une nouvelle annonce que personne n’aurait pu également imaginer : celle de l’arrivée d’une grande pointure de la NHL, l’attaquant canadien Steven Reinprecht !
Avec le recrutement du célèbre coéquipier de Montador à Calgary, ce fut vraiment « Noël avant l’heure » pour le club de Mulhouse qui évoluait à présent dans l’élite depuis quatre saisons puisque ce dernier termina meilleur compteur de la Ligue Magnus.
En effet, Steven Reinprecht avait une sacrée carte de visite puisqu’il avait remporté la Coupe Stanley en 2001 avec Colorado puis il avait été champion du monde avec le Canada en 2003. Titulaire des Flames de Calgary, le nouveau renfort de luxe des Scorpions touchait à l’époque un salaire de 1,5 millions de dollars soit pratiquement le double du budget global du Hockey Club de Mulhouse !
Continuant à être payé par le syndicat des joueurs de la NHL, Steven Reinprecht, tout comme son ami Steve Montador, annonçait avoir signé un simple contrat amateur en France souhaitant avant tout continuer à jouer jusqu’à la fin du lock-out et profiter de son aventure française pour vivre une nouvelle expérience.
Le club leur trouva donc un appartement, une voiture et prit en charge les voyages. « Des dépenses loin d'être négligeables pour nous », précisa Paul Heyberger, le président de Mulhouse. Seule contrainte : les deux hommes furent libres de partir à tout moment. Montador le fera rapidement. Reinprecht, lui, restera jusqu'à la fin. « Même s'il n'avait joué que deux matches sous nos couleurs, cela aurait suffi à notre bonheur », confia le président du club.
Des lendemains qui déchantent
Pendant cette période très excitante qui attira l’attention des médias, un article publié par le journal régional les Dernières Nouvelles d’Alsace, jeta cependant un froid en coulisses. En effet, la Fédération annonça que quatre clubs de la Ligue Magnus - dont Mulhouse - étaient menacés de relégation s’ils n’apportaient pas des satisfactions financières avant le 30 juin. Certainement emporté par l’euphorie ambiante du moment, le président Paul Heyberger se montra rassurant ne parlant que d’un petit « décalage » de trésorerie sans grande gravité… Malheureusement, ce dernier minimisa visiblement les faits puisque la belle histoire du club de Mulhouse allait vite passer du rêve (photo ci-dessous) au cauchemar.
A la mi-juin 2005 une belle nouvelle fit encore illusion puisqu’on annonça avec plaisir que le club de Mulhouse accueillerait au mois d’octobre suivant le deuxième tour de la Coupe Continentale. Ce devait être un grand moment de hockey en perspective obtenu grace à son premier sacre historique en Ligue Magnus.
Mais au fil des jours le climat devint de plus en plus pesant dans la ville du Haut-Rhin qui ne soupçonnait pas encore qu’il s’agissait en fait en réalité d’une descente aux enfers. En effet, si le président Paul Heyberger continua à se montrer optimiste, il parla tout de même d’un budget à la baisse. Autre signes avant-coureurs troublants, le projet d’un centre de formation départemental fut reporté, ayant été jugé trop coûteux, et l’idée d’embaucher un adjoint pour Christer Eriksson fut également abandonnée…
Mais l’inquiétude sur l’avenir immédiat du HCM augmenta lorsque le 26 juin 2005 le journal L’Alsace publia en première page une photo de la remise de la Coupe Magnus avec comme titre « Hockey, Mulhouse en sursis ! ». Cette information fit l’effet d’une bombe car l’Autorité Exécutive du Hockey Français (AEHF) qui précéda la création de la FFHG un an plus tard, annonça qu’elle invalidait les dossiers présentés par les clubs de Mulhouse et de Tours car ils présentaient un passif supérieur à 250 000 euros. Cette nouvelle fut le point de départ d’un affrontement médiatique qui dura une bonne partie de l’été entre le président du HCM d’un côté et de l’autre Luc Tardif le président de l’AEHF.
Mais il manquait l’essentiel, à savoir une subvention exceptionnelle qui aurait permis d’éponger une dette qui ne cessait d’augmenter au fil des semaines. Du coup, le 3 juillet 2005, la réponse claire et sans ambigüité de la Fédération fit à nouveau la une du journal local avec comme titre : « HCM : c’est non ! ».
La stupéfaction fut à son comble notamment pour Christer Eriksson qui avoua son énorme tristesse pour tout le travail qu’il avait fourni patiemment depuis quatre ans. De son côté, le président Paul Heyberger ne voulut pas croire à cette issue fatale et appela à une mobilisation générale se raccrochant au fait que l’association des joueurs de hockey avait pu obtenir de l’AEHF qu’un petit délai supplémentaire soit accordé au club de Mulhouse pour produire certaines pièces demandées.
Quelques jours après, le montant du passif s’alourdit encore à cause d’une pénalité de 50 000 euros infligée à Mulhouse pour son dépassement de la masse salariale. C’est ainsi que le roman noir de l’été 2005 s’acheva par une fin désolante puisque la décision finale tomba comme un couperet, à savoir que l’équipe senior de Mulhouse, tout juste sacrée championne de la Ligue Magnus, était rétrogradée en Division 3 pour la saison suivante…
Cet avenir était scellé puisque le 28 septembre, faute d’avoir obtenu une subvention plus conséquente que les 30 000 euros proposés par la mairie, le Hockey Club de Mulhouse fut contraint de déposer son bilan auprès de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse. Une dernière manifestation organisée devant la mairie par quelques derniers fidèles supporters du HCM ne changea rien puisque la municipalité ne modifia pas sa décision. Les élus refusèrent de combler avec de l’argent public un trou de 290 000 euros.
Toutefois, comme on le sait, après une traversée du désert, lors de la saison 2012-2013 le club de Mulhouse effectua son grand retour en Ligue Magnus après sept ans d’absence mais il termina 14e et fut contraint de retourner immédiatement en Division 1 !
Synerglace un sponsor local déterminant
Au début du mois de mai 2016, le club publia un communiqué important avec comme titre : « Synerglace accroît son engagement auprès des Scorpions ». En effet, la Société Synerglace (futur sponsor de la Ligue Magnus) décida de s'engager davantage dans le club de Mulhouse en soutenant financièrement et de manière très forte l'équipe première. Un engagement qui se traduira à la fois par la mise en place d'une « team Synerglace » mais aussi l'arrivée d'un nouveau maillot aux couleurs de la société alsacienne.
L'annonce de l'arrivée d'un team Synerglace fut un énorme soutien, à la fois structurel et financier, pour les Scorpions car Philippe Aubertin, le grand patron de cette société aux ambitions internationales et ancien directeur de la patinoire de Mulhouse, était un passionné très altruiste des sports de glace en général qui avait voulu donner un signal fort tant aux sponsors locaux, qu'aux collectivités territoriales sans oublier le club.
Troisième retour dans la Ligue Magnus
Ce soutien de la société Synerglace fut déterminant puisque lors de la saison 2017-2018, pour la troisième fois de son histoire depuis 2001, le hockey mulhousien effectua son retour dans la Ligue Magnus ! Avec un nouveau président important, Mark Swenson, patron de la société OfficePartner qui vendait notamment des photocopieuses et des imprimantes. Par ailleur Yorick Treille devait rester également l’entraîneur pendant un an.
Malheureusement, la gestion de la partie professionnelle du club sous la présidence de Mark Swenson s’avéra problématique puisque plusieurs dirigeants furent entendus par les enquêteurs de la section financière de la police judiciaire. La justice soupçonna le club mulhousien de plusieurs malversations financières. Le fonds qui gérait l’école de hockey, aurait notamment été indûment utilisé pour financer les activités des professionnels et des documents auraient été aussi falsifiés.
Lorsque la FFHG prit connaissance de ces faits ses rapports devinrent très tendus avec le président des Scorpions au point que les échanges du club de Mulhouse avec la fédération devinrent très « virils » provoquant plusieurs mises au point cinglantes. Par ailleurs ces dernières saisons la fédération française de hockey sur glace avait pris à plusieurs reprises des sanctions. Elle avait retiré des points pour des budgets jugés non conformes, c’est notamment ce qui a incité la justice s'intéresser à ses comptes.
Mais trois ans plus tard, au mois d’octobre 2020, Mark Swenson donna sa démission et fut remplacé par Alain Cheval, journaliste aux Dernières Nouvelles d’Alsace et ancien membre du comité de l’Association de Développement du Hockey Mulhousien. Alain Cheval était bien conscient qu’il allait avoir du fil à retordre car il hérita de son prédécesseur d’une situation très conflictuelle avec la FFHG qui devait perdurer.
C’est ainsi qu’au mois de septembre 2022, avant le coup d'envoi de la saison qui vient de s'achever cette année pour la Ligue Synerglace Magnus, les Scorpions de Mulhouse ont été autorisés à prendre part à la compétition, mais ils furent sanctionnés de 15 000 euros d'amende et de 9 points de pénalité (dont 3 avec sursis) au classement du Championnat, pour « manquement à des règlements fédéraux », par la Commission nationale de suivi et de contrôle de gestion (CNSCG).
Mais la Commission fédérale d'appel, qui s'était réunie le 12 septembre, décida que le club alsacien serait désormais sanctionné de 9 points en moins, dont, cette fois, 5 avec sursis. Ce qui fait que le club de Mulhouse n'était plus dixième mais bien septième de la Ligue Magnus, après quatre journées de Championnat. Toutefois, les 15 000 euros d'amende furent maintenus.
La fin d’une belle histoire ?
Enfin, le 17 mai 2023, le club de Mulhouse, endetté de près de 300 000 euros, publia un communiqué alarmiste intitulé « À toute la famille du hockey mulhousien… ». Ce dernier disait : « Si nous venons vers vous aujourd’hui, c’est le cœur serré, car le moment n’est pas aux réjouissances. Malgré les efforts menés depuis la fin de la saison pour nous permettre d’aligner sereinement notre équipe des Scorpions en Synerglace Ligue Magnus la saison prochaine, force est de constater que nous n’y arrivons pas. Le cœur nous pousse toujours à relever les défis, même les plus difficiles et c’est ce que nous faisons depuis plusieurs années. Mais cette fois, la marche semble trop haute. Le tribunal statuera sur la suite à donner de la mise en redressement judiciaire que nous avons voulu et qui avait été demandée par certains de nos partenaires institutionnels, afin de nous protéger et d’analyser tous les champs des possibles. Cette procédure est un acte de gestion et de bon sens. Elle a été difficile à accepter mais s’est imposée à nous. »
Depuis plus de quarante ans Tristan Alric a été l’acteur et le témoin privilégié de l’évolution du hockey sur glace en France. D’abord comme joueur puis comme arbitre. Ensuite, en devenant le journaliste spécialiste du hockey sur glace dans le quotidien sportif L’Equipe pendant plus de vingt ans. Auteur de nombreux livres et d’une récente encyclopédie qui font référence, Tristan Alric a marqué également l’histoire du hockey français en étant le créateur de la Coupe Magnus et des divers trophées individuels. Avec un tel parcours, il est donc bien placé pour avoir une analyse pertinente sur notre sport favori. Le site Hockey Hebdo est donc heureux de lui permettre de s’exprimer régulièrement dans cette rubrique.