L’INCROYABLE DESTIN DE FRANK FAZILLEAU |
Cela fait maintenant 46 ans que je vis dans le milieu du hockey sur glace français autrement dit presque un demi-siècle ! Cette longue présence, d’abord comme pratiquant reconverti en arbitre, mais surtout comme journaliste, m’a donné l’occasion de rencontrer beaucoup de joueurs et de dirigeants. Parmi ces derniers, j’ai croisé souvent des personnages originaux et parfois très « pittoresques ». Dans cette galerie de portraits, s’il fallait que je choisisse celui qui m’a le plus marqué, je citerai sans aucune hésitation l’ancien hockeyeur
Frank Fazilleau qui est âgé aujourd’hui de 66 ans.
Celui que l’on surnomme familièrement « Faze » et qui est devenu un ami de longue date, fut non seulement le plus célèbre défenseur international du club de Viry-Châtillon à l’époque, mais également le renfort très en vue de six autres clubs successifs : Tours, les Français Volants de Paris, Chamonix, Saint-Gervais, Megève et enfin Poitiers. Mais, si je tiens à parler aujourd’hui du parcours de Frank Fazilleau, c’est parce qu’il a vécu
un destin hors du commun incroyable qui continue à forcer mon admiration. Sa vie en dehors de la glace fut en effet tellement chaotique et si imprévisible que son histoire pourrait être un scénario de film d’aventure pour des réalisateurs célèbres comme James Cameron ou Steven Spielberg !
L’INTERVIEW INOUBLIABLE DE LAS PALMAS
J’ai rencontré le futur « Indiana Jones » du hockey sur glace français à l’occasion de mes premiers Championnats du monde organisés en 1978 à Las Palmas aux îles Canaries où je m’étais rendu pour relater l’événement dans l’ancien magazine « France Hockey ». Ce tournoi improbable, organisé sous un soleil tropical et au milieu des palmiers, me permit de faire une interview mémorable pour le moins inattendue. Car, au lieu de me parler de sa première sélection très houleuse qu’il vivait sur place avec le nouvel entraîneur national tchèque Zdeneck Blaha (qui l’avait pris en grippe), Frank Fazilleau, âgé alors de vingt ans, me proposa un moment suspendu inoubliable.
Pendant une heure, il me fit un cours magistral fascinant et totalement surréaliste avec comme sujet inattendu les différentes sortes de pêche qui existent : la mouche sèche, la mouche noyée, la pêche au coup (avec grande et petite canne), la pêche à l’anglaise, le leurre soulpe, la pêche au vif et j’en passe ! Le tout en me montrant avec un visage exalté tout un attirail sorti d’un long tube en carton qu’il avait emmené sur place en même temps que ses crosses !
Bref, j’ai compris tout de suite que cet hockeyeur souriant et très sympathique n’était vraiment pas comme les autres. Malgré son personnage déroutant et décalé, il allait devenir également à la fin de sa carrière internationale l’entraîneur très apprécié de différents clubs français comme Megève, Chamonix, Toulouse et Poitiers. En fait, ce jour-là, j’ai parlé avec un jeune hockeyeur tricolore qui était dans un autre monde, un peu « allumé » sans doute à cause d’un hameçon qui s’était probablement accroché à son cerveau en faisant tourner un peu trop fort son moulinet.
UNE CARRIÈRE INTERNATIONALE INTERMITTENTE
Frank Fazilleau remporta son unique titre de champion de France de la Nationale 1 (Ligue Magnus aujourd’hui) avec le club de Tours en 1980. Un sacre mémorable car il provoqua le début du professionnalisme dans le hockey sur glace français. Dans son équipe il avait comme coéquipiers le célèbre capitaine tricolore André Peloffy et d’autres vedettes du moment comme Pascal Del Monaco, Patrick Sawyerr, les frères Jean-Yves et Philippe Decock, Michel Lussier, Joe Fidler, Jean Stinco, Yvon Bourgaut, Alain Blanchet, Christophe Pasquier, Gilles De Saint-Germain, Bernard Bonnarme ou encore Guy Galiay. Sans oublier les trois gardiens : Charles Thillien, Frédéric Malletroit et Patrick Partouche. C’était la « Dream Team » de l’époque !
Du coup, le numéro 15 des « Mammouths » effectua en 1982 un retour en grâce dans l’équipe de France car le nouvel entraîneur national Jacques Tremblay lui permit de revenir à l’occasion des Championnats du monde organisés à Jaca en Espagne, directement mais sans match de préparation !
Palliant une absence sur blessure, Frank Fazilleau joua à cette occasion à l’arrière, d’abord avec son coéquipier de Tours Jean-Yves Decock puis avec Jean-Christophe Lerondeau de Viry-Châtillon. Mais en 1985, après quelques mois d’absence à nouveau sur la scène internationale, il refit sa troisième apparition grâce cette fois à Paul Lang et Patrick Francheterre. En effet, les deux coachs nationaux décidèrent de rappeler « Faze » au sein de la formation tricolore en même temps que son camarade de club à Paris, l’attaquant grenoblois Bernard Le Blond.
Malheureusement, après avoir rejoint les Français Volants de Paris pendant deux saisons, la vie de Frank Fazilleau allait connaître un nouveau destin autrement plus incroyable ce qui mit un terme à sa carrière internationale.
UN LONG PÉRIPLE SPIRITUEL EN AFRIQUE
Suite au décès de son père Jean Fazilleau (un ancien militaire de carrière) victime d’une rupture d’anévrisme à l’âge de 56 ans, son fils Frank fut très affecté et fortement déstabilisé par cette disparition brutale qui endeuilla également son frère aîné Erik lui-même ancien joueur de hockey. Son cadet Frank décida brutalement sur un énorme coup de blues de ranger ses crosses et son équipement de hockeyeur pour partir s’exiler tout seul pendant trois mois en Afrique.
« J’avais terminé le championnat de France et comme j’étais aussi mécano, j’ai acheté un Land Rover, raconte Frank. J’ai embarqué sur un ferry à Marseille qui m’a emmené jusqu’à Alger. J’ai traversé ensuite tout seul l’Afrique jusqu’à Abidjan en Côte d’Ivoire en roulant d’abord en plein désert puis dans la vallée du Tilemsi soit 1350 kilomètres. Quand on fait l’Afrique, c’est un autre voyage spirituel et intemporel. Il faut savoir poser la montre ! Ce fut la plus belle épreuve de ma vie après la naissance de mon fils Lucas. Lors de ce périple, j’ai relativisé beaucoup de choses. Le surnom que tu m’avais donné ensuite dans le journal L’Equipe, celui de « L’Indiana Jones du hockey », ça m’a collé à la peau toute ma carrière ! Mais, je ne t’en veux pas car il résume bien ce que je suis. Avec moi, il faut s’attendre à tout. »
Une fois arrivé à Abidjan, il choisit une solution pour le moins étonnante pour pouvoir être rapatrié. En effet, un importateur de cacao, que Frank Fazilleau connaissait, accepta de le ramener en France en le cachant dans…un porte-conteneur ! Mais, lors de l’accostage dans le port de Porto au Portugal, l’aventure du hockeyeur globe-trotter se compliqua car les dockers portugais refusèrent de laisser débarquer son véhicule pour pouvoir continuer sa route en voiture à travers l’Espagne car ils considéraient son véhicule comme objet transporté clandestinement. Après de longues palabres, notre aventurier, qui portait une barbe hirsute et une longue tignasse ébouriffée, ne fut pas arrêté par la douane mais il fut contraint de poursuivre son périple en mer dans le porte-conteneur jusqu’au port français de La Rochelle où Frank Fazilleau et son Land-Rover purent enfin retrouver la terre ferme.
RETOUR DANS LE DÉSERT PENDANT L’INTER-SAISON
Le 18 septembre 1986, jour de son anniversaire, on le croyait enfin assagi puisqu’il signa un contrat avec le club de Chamonix où il jouera pendant cinq saisons consécutives. L’occasion de remporter le titre de champion de France de la Division 1 en 1990. Pour vous prouver que l’homme est décidément atypique, Frank décida lors de son arrivée au pied du Mont-Blanc de se singulariser de ses nouveaux coéquipiers en portant désormais le numéro 13 que jamais personne ne voulait choisir par superstition ! Ce numéro, sujet de tous les fantasmes, est d’ailleurs toujours absent de la formation de la Haute-Savoie à ce jour.
A cette époque j’ai consacré à nouveau un portrait décalé dans le journal l’Equipe de celui que ses coéquipiers surnommaient également « Frankie » ou « Fafie ». A cause de son envie irrépressible de sortir une fois de plus de sa « zone de confort » et de prendre un malin plaisir à défier le danger avec une inconscience désarmante. En effet, il profita des intersaisons du hockey sur glace, entre le mois de juin et le mois d’août, pour acheter chaque été, tenez-vous bien, des camions de 19 tonnes afin de pouvoir les revendre en Afrique, soit au Mali soit au Burkina Fasso, en effectuant à chaque fois le retour en avion une fois les affaires conclues…
C’est ce qui explique qu’il partagea pendant quatre saisons son nouveau poste d’entraîneur du club de Megève, entre 1996 et 1999, en formant des duos successifs avec Stéphane Botteri, Frédéric Favre puis Didier Causlovsqui.
Il faudra sa nomination comme entraîneur unique du club de Toulouse en 2002 pour qu’il soit obligé de moins s’éparpiller momentanément hors de la glace avant qu’il ne choisisse de se reconvertir trois ans plus tard dans le rugby à Castelsarrasin…
Frank Fazilleau lors d’une visite à Bordeaux avec Olivier Dimet, le coach des Boxers
DE NOMBREUSES ACTIVITÉS HÉTÉROCLITES
Car Frank Fazilleau, atypique et touche-à-tout, a décidément plus d’une corde à son arc. C’est le cas de le dire ! En effet, s’il est un passionné de pêche comme le fut son père, lors de son séjour à Chamonix il dirigea également une salle de musculation. L’ancien défenseur international pratiqua aussi la chasse à l’arc avec une arme modernisée puisque son arc était équipé de poulies équilibrantes et d’un viseur en fibre optique. « J’ai rapidement laissé tomber le fusil et je suis parti dans la nature sans chien, juste avec mon arc ou parfois une arbalète pour aller chasser notamment dans les forêts. »
Je vous le répète, cet homme est vraiment un cas à part ! Un « électron libre » qui n’a pas cessé de m’étonner. Je rappelle qu’il est le père d’un fils surnommé Lucas (28 ans aujourd’hui) devenu informaticien à Toulouse, qu’il a eu avec une amie d’enfance à Viry-Châtillon. Fait assez rare pour un homme, il a obtenu la garde exclusive de son garçon dès l’âge de 5 ans. Lors de son séjour en Haute-Savoie, « Faze » fit ensuite connaissance d’une hôtesse de l’air avec qui il vivra pendant sept ans.
Une fois de plus Frank Fazilleau surprendra son monde en allant s’installer ensuite à Villefranche-de-Rouergue dans l’Aveyron. C’était au cours de l’an 2000. Une période au cours de laquelle, grâce à sa nouvelle société « Sabl’art-veyron » située à La Rouquette, il se mit à pratiquer un nouveau métier inattendu qui consiste à la restauration des bâtiments en pratiquant le nettoyage des murs par sablage et hydrogommage. « Je restaure tout : pierres, poutres, charpentes, voitures de collections, motos, sur le verre, meubles, que du travail soigné et je me déplace dans toute la France et à étranger », dit-il alors sur sa carte de visite. Il restaura notamment le château d’Estaing dominant le village qui a appartenu à l’ancien président de la république. Vous croyez que son histoire est finie ? Et bien non !
UNE OPÉRATION QUI FAILLIT MAL TOURNER
La vie, décidément incroyable de cet ancien hockeyeur, allait connaître un nouveau rebondissement imprévu. En effet, tout en s’occupant de l’animation-éveil de la petite enfance, il est aussi devenu un adepte très compétent de la préparation mentale depuis 2016 qu’il baptise « FAZmental ». Cette reconversion inattendue fait suite à une opération d’une tumeur à l’un de ses reins qui s’est très mal passée. Frank Fazilleau raconte : « J’ai vu la dame blanche car j’ai failli mourir d’une septicémie à cause d’une perforation de l’intestin. Dans mon subconscient, je l’ai vu poser sa main sur mon ventre alors que je m’attendais à quitter la vie. Finalement, j’ai passé quatre semaines à l’hôpital mais je m’en suis sorti de justesse. Puis, j’ai dû subir une colostomie, c’est-à-dire que j’ai dû porter une poche externe pour recueillir les selles en attendant la guérison de la perforation de mon intestin ! C’est un miracle si aujourd’hui je suis encore en vie car j’avais perdu neuf kilos et demi. »
Après cette grave blessure, vous croyez à nouveau l’homme à terre ? Et bien non ! Car quelques semaines plus tard seulement Frank Fazilleau, ignorant les recommandations de son médecin, disputait un championnat du Monde vétérans en Italie alors que sa poche n’avait pas été encore enlevée !
THÉRAPEUTE ET MAÎTRE DE L’HYPNOSE !
Sa carte de visite allait s’enrichir par de nouvelles compétences toutes aussi singulières pour un hockeyeur lambda. Frank Fazilleau est devenu aussi maître praticien en hypnose et thérapeute EMDR, autrement dit expert de l’oscillement des yeux (de droite à gauche) pour traiter les traumatismes qui n’ont pas été guéris par le cerveau. Notre hockeyeur s’est spécialisé également dans la programmation neurolinguistique pour libérer les gens par la parole. « Un renfort slovaque prenait par exemple trop de prisons à Poitiers. Je l’ai traité pour qu’il soit moins agressif sur la glace et plus performant. Je me suis occupé aussi pendant deux saisons de la préparation mentale du club de volley élite senior dans la même ville », confie Frank.
J’ajoute que ce dernier s’est occupé également d’un club de rugby à treize à Villefranche-de-Rouergue, qu’il fut également le coach des « Hocklines » en roller de Toulouse et des « Gueules Noires » de Decazeville, mais aussi membre de l’équipe de France de roller ! « J’ai voulu terminer ma carrière sportive en revenant à mes racines à savoir dans le hockey sur glace comme coach à Viry-Châtillon qui est mon club d’origine, malheureusement lors d’un examen on a détecté une récidive d’une tumeur rénale », raconte Frank.
UNE NOUVELLE ESCALE SUR L’ÎLE DE LA RÉUNION
Finalement, j’ai retrouvé dernièrement l’ami « Frankie », son autre surnom, dans un autre lieu improbable puisqu’il se trouve actuellement sur l’île de la Réunion ! Ce dernier raconte : « Lors d’un match de vétérans à Bordeaux, un ancien hockeyeur m’a dit « si tu veux encore de l’exotisme tu devrais aller sur l’île de la Réunion car il y a là-bas un club de roller qui cherche un entraîneur. Du coup, j’ai envoyé un CV. Dans un premier temps, je n’ai pas eu de nouvelles, mais leur coach précédant est tombé malade. Comme je l’ai remplacé, désormais, quand le palet sort du terrain, c’est moi qui vais le chercher dans les palmiers ! »
Pour l’anecdote, je rappelle que l’ancien capitaine de l’équipe de France originaire de Gap Alain Vinard a effectué lui-aussi un séjour sportif sur l’île de la Réunion mais comme entraîneur d’un club de Pelote Basque. Ayant appris cette discipline après un stage bref mais intensif, au mois de décembre 2006, ce dernier partit à Saint-Denis pour s’occuper du quartier sensible du Chaudron où ne vivent que des créoles. Ce fut pour lui-aussi un nouveau défi, une autre mentalité et un autre mode de vie.
A l’île de la Réunion, Frank Fazilleau pêche le Thasard noir appelé aussi le Thon Banane
Arrivé le 3 septembre dernier à Saint-Denis (il compte y rester jusqu’au mois de juin prochain), Frank Fazilleau n’a pas oublié d’emmener dans ses bagages ses cannes pour la pêche au gros, ses harpons ainsi que sa combinaison sous-marine. Car avant de faire partie de la première équipe historique de hockey sur glace à Viry-Châtillon, il était licencié dans un club de natation avec d’autres futurs hockeyeurs devenus également célèbres comme l’ancien gardien de but Laurent Dentz, les deux frères Jean-Christophe et Xavier Lerondeau ainsi que Laurent Lecomte. « Faze » sait donc nager comme un poisson dans l’eau.
« L’endroit est très dangereux à cause des attaques de requins. Du coup, sur l’île, on me prend pour un fou car j’ignore ce danger et je plonge ! » dit-il en riant. Dans ce département français de l’océan indien où il fait beau tout l’année, il se déplace uniquement avec un scooter acheté sur place et il m’a beaucoup ému en me faisant cette dernière confidence : « Tu sais, après tout ce que j’ai vécu, il faut profiter de la vie ! Il me reste désormais neuf années à vivre. C’est un choix personnel que j’ai fait. Je m’organise pour l’euthanasie lorsque j’aurai 75 ans… »
SA PASSION : DE LA GLACE… À LA PÊCHE
Je vous avais prévenu, Frank Fazilleau est dans l’histoire du hockey sur glace français un être décidément à part. Un véritable artiste dans son genre. Dans le palet, c’est une sorte de fou du roi. Un personnage haut en couleur à multiples facettes avec ses joies mais aussi ses nombreux drames personnels très durs, encaissés comme des coups de boutoir, mais qui furent toujours surmontés grâce à un mental et une force de résilience hors du commun. Ses envies dévorantes d’évasion solitaire, sa folie douce et ses multiples passions sportives dans lesquelles il s’est toujours donné à fond, l’ont maintes fois sauvé.
Je suis vraiment en admiration devant son propre mantra qui peut s’apparenter à certains préceptes de l'hindouisme, le bouddhisme, le sikhisme ou encore le jaïnisme. Bref, merci mon ami Frank pour avoir su « briser la glace » de notre sport favori d’une façon très originale qui m’a fait souvent rêver par procuration. Avec les lames de tes patins, tu avais déjà laissé de très belles traces sur nos patinoires. Mais celles que tu as imprimé de façon éphémère sur le sable brûlant du désert africain, avant que le sirocco ne vienne les effacer, ont prouvé que tu es un être vraiment singulier.