Mike La Bruya est journaliste à Toronto. Spécialisé dans le hockey, il est l'auteur de plusieurs études sur le modèle économique et juridique du hockey nord-américain. Considéré également comme un journaliste sportif d'investigation, il est à l'origine de plusieurs reportages et dossiers pour les plus grands médias nord-américains sur des thèmes comme le dopage, l'arbitrage ou encore la violence dans le hockey.
HH : "Bonjour Mike, nous te sollicitons sur la question de la sécurité du public dans le hockey. Nous savons que tu as travaillé sur le sujet et voudrions te demander de nous faire un point sur l'état de la question dans le hockey nord-américain. Tu dois savoir qu'un jeune spectateur est tragiquement décédé en France..."
MLB : "Bonjour, oui toute la presse nord-américaine a repris cette information dramatique, c'est terrible pour le hockey français, je présente mes condoléances si vous publiez l'intégralité de mes propos...c'est le pire scénario qui peut arriver lors d'une game...c'est un cauchemar..."
HH : "Que peux-tu nous dire sur ce dossier, je sais que vous avez travaillé sur la question, qu'il y a eu des analyses précises, tu m'avais dit, il y a quelques années, avoir réfléchi avec des chercheurs américains ?"
MLB : "Bon, c'est clairement un sujet maudit et dont on ne veut pas parler en Amérique du Nord, tu prends toutes les ligues, y compris la LNH, c'est le blackout total...après, tu as des documents sur le sujet, oui, cela fait longtemps que le problème se pose, très longtemps même. Pour commencer, je crois qu'il faut dire deux/trois vérités. La première, c'est que, sauf à fermer totalement autour de la glace, ce qui est impossible, tu as le risque de voir un palet passer au mauvais endroit au mauvais moment... généralement, ce n'est pas mortel, heureusement, mais tu n'as jamais un risque zéro et cela il faut le comprendre, l'accepter. Après, tu peux vraiment améliorer ta sécurité avec les travaux et aménagements nécessaires, c'est ici une question d'argent. Si tu as une arena de LNH, c'est totalement justifié, si, par contre tu as une glace d'entraînement avec zéro public, faut-il faire de tels travaux, c'est toute la question qui se pose chez nous, au Canada. Souvent, la réponse est négative, le risque de blessure existe, c'est rare mais c'est régulier, le risque de mort est encore plus rare, on essaye de nous expliquer qu'il est aujourd'hui inexistant en LNH, je regrette de dire que c'est faux, même si c'est heureusement très rare."
HH : "Que peux-tu nous dire sur le risque ?"
MLB : "Le meilleur spécialiste du sujet est Mike Milzman, c'est un médecin de Washington qui a conduit une étude statistique très précise pour mesurer les risques, il a compilé des centaines de rencontres sur cinq ans. Ses conclusions sont, pour moi, assez logiques, tu as une moyenne d'environ trois à quatre palets qui vont dans le public par rencontre, et qui vont présenter un risque pour le public. Tu peux te dire que cela te semble beaucoup mais j'ai fait le compte, moi aussi, sur plusieurs rencontres et tu as effectivement cette moyenne. Là-dessus, tu n'as heureusement pas que des blessés ; en fait, la plupart touchent un siège, le sol, ou ne laissent qu'une légère douleur. Tu as un cas plus grave sur environ 100 palets, quand je dis grave, cela peut être un simple bleu, ou pire. La LNH a calculé que tu as environ trois cents personnes qui rencontrent un palet chaque saison, avec environ dix à quinze cas plus graves, saignements, traumatismes, qui donnent lieu à indemnisation. La question que je me suis posée est de savoir si tu as cette situation partout. En fait, c'est le cas pour des arenas homologuées, avec des protections efficaces, les chiffres que tu peux avoir sur certains pays sont bien pires, je pense, mais ils ne sont pas publiés."
HH : "Vous avez étudié le cas de pays européens comme la France ?"
MLB : "Oui, on a regardé, la France semble dans la moyenne, il y a assez peu de rencontres par rapport aux pays nordiques, donc le risque est moindre ; par contre, vous avez encore des arenas d'équipes élites qui ne disposent pas de toutes les protections. On manque, ceci dit, d'informations précises sur la France, comme tu peux le penser, car nous ne vivons pas dans le pays."
HH : "Que peux-tu nous dire sur les cas mortels ?"
MLB : "Il y en a eu, pas énormément, vu le nombre de rencontres, mais il y en a eu... cela reste très largement méconnu, voire inconnu, il faut vraiment tanner les gens pour qu'ils en parlent. Il faut déjà distinguer les décès de partisans et ceux des joueurs, arbitres ayant reçu des palets. Souvent, c'est un peu confus dans les journaux locaux, j'ai fait une recherche sur le sujet et tu as pas mal de confusions. Historiquement, il est faux de dire qu'il n'y a jamais eu de victimes avant le cas de Britanny Cecil qui est le plus connu, documenté. Il n'y a jamais eu de cas dans la LNH mais tu as des décès dans d'autres arenas plus petites et moins protégées, voire des glaces naturelles que tu as chez nous en hiver."
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NHL.COM |
Montage des Plexis |
HH : "Si on fait le compte, un journal français, sans citer de sources, a évoqué 4 victimes en Amérique du Nord."
MLB : "Voici mon décompte qui est certainement inexact :
- Brittany Cecil (LNH Colombus 2002)
- Jeune Canadien de 21 ans dans une rencontre de SEMHL Altona vs Carman en 2000
- Enfant de 10 ans à Spokane, tué en 1984 lors d'une rencontre entre les deux équipes locales
- Enfant de 9 ans, en 1979, selon certaine sources fiables.
- 2 cas dans les années 60, dont un au sein d'une communauté indienne, la personne, d'un âge assez avancé, aurait été touchée à la tête et serait morte lors d'une rencontre en extérieur. J'ai eu deux témoignages là-dessus mais aucun article de presse.
- 1 cas aux USA dans les années 50, le parent d'un jeune joueur, il y a une coupure de presse mais pas forcément claire, le père était-il coach sur la glace au moment des faits ou en tribune ?
Pour moi, tu as environ une dizaine de cas dans l'histoire du hockey, c'est peu, cela me fait penser à certaines maladies rares, cela n'arrive qu'aux autres sauf le jour où..."
HH : "Quelles conclusions formules-tu sur les contextes et dangers ?"
MLB : "C'est le coeur du sujet, déjà tu as plusieurs constats importants. Le premier, c'est que, très majoritairement, ce sont des enfants qui sont les victimes, le plus souvent des traumas crâniens et hémorragies internes. Le second constat, c'est que ce sont, sur ce que je sais, des tirs tendus, pas des palets qui retombent, certains, comme dans le cas de Britanny Cecil, sont passés entre les protections à très grande vitesse. Enfin, le public est plus exposé que les journalistes et photographes qui n'ont jamais eu de victimes, les raisons sont qu'il s'agit d'adultes, et que les photographes, qui prennent souvent des palets, cassent leurs appareils qui les protègent, tu as environ 80 appareils cassés parmi les confrères ces 3-4 dernières saisons ; sans eux, je pense que tu aurais eu peut-être une ou deux victimes. Tu as eu aussi des coachs, nez cassés et arcades, cela arrive car ils n'ont pas de casques..."
HH : "En quoi le cas Britanny Cecil a fait évoluer cette question ?"
MLB : "C'est la première et seule victime de la LNH moderne, disons, il s'agissait d'une très jeune fille qui était allée voir une game à Colombus pour son anniversaire, elle était en fait assez haut en arrière du but. A l'époque, tu avais des filets partiels, le palet, slappé à fond, est monté et l'a touchée, elle était consciente quand on l'a évacuée mais elle est morte d'une complication médicale, certains disent que les médecins ont été très moyens là-dessus mais peu importe...La LNH a changé les filets et a revu l'ensemble de la sécurité dans les arenas, depuis tu as eu des traumas sérieux mais pas de morts mais, comme je t'ai dit, le risque zéro n'existe pas. Après, l'affaire Cecil, c'est aussi une négociation avec la ligue qui a donné 1 million deux cents mille $ à la famille, tu as autour de cela toute une série de procès fait par des victimes de palets, il y a plusieurs articles juridiques là-dessus. On peut, ceci dit, dire que tu as avant Cecil et après Cecil pour ce qui concerne la sécurité, la LNH a fait des efforts, mais le gros du problème aujourd'hui c'est les petites arenas de quartier. Pour essayer d'avancer, le monde du hockey canadien a fait certains efforts pour ces lieux à risque."
HH : "Justement, concrètement, comment cela se passe ?"
MLB : "Cela varie selon les régions, provinces mais, en général, chaque arena se voit attribuer un niveau de sécurité, inutile de te dire que le plus bas correspond à aucune protection, généralement tu n'as pas de public. Donc, tu as des mesures simples que je peux te résumer de la manière suivante : quand il y a risque, le public se place derrière les zones protégées et n'en sort pas, c'est clair, simple. Si tu dois sortir, la consigne est de suivre le jeu, le pire c'est un palet que tu te prends sans le voir, donc si tu dois prendre un risque, tu suis et tu as généralement un sac, manteau que tu peux mettre en protection au cas où. les enfants doivent rester avec les parents et, quand ils se déplacent, les parents les couvrent. Cela marche assez bien, j'ai vu des encadrants jaser après les parents avec des enfants seuls qui prenaient des risques. Pour les arenas avec du public, la consigne est de suivre le jeu, avoir au moins une personne sur deux qui suit, et qui va mettre la main, un objet pour freiner le palet, c'est pas toujours l'idéal mais cela marche en principe, sachant que tu peux toujours avoir un manque de vigilance qui va causer l'accident..."
HH : "Et sur la sécurité dans les arenas, au niveau des plexiglas ?"
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Montreal Gazette |
Défibrillateur dans une arena de Montréal |
MLB : "Tu as des normes avec des protections tout autour et également des tests qui peuvent être faits avec un cannonball pour voir si certains angles sont couverts. On va ajouter des protections à certains endroits. Comme on sait que les palets perdent de la vitesse quand ils grimpent verticalement, tu as eu des consignes passées pour les nouvelles constructions, faire quelque chose de plus vertical. Derrière les buts, tu as les filets qui sont vérifiés, généralement plusieurs fois par an, ils examinent le tout, tu as les salles comme le Garden à New York qui changent la configuration de la salle régulièrement donc ils peuvent vérifier les mailles, pour les autres c'est fait avec des échelles et de l'escalade, enfin j'ai vu faire une fois ou deux. Malgré tout cela, tu as une équipe médicale prête à intervenir, cela peut faire la différence, un médecin et des secouristes, mais c'est le cas partout, je pense."
HH : "On considère que le hockey est plus risqué que les autres sports, le public se méfie un peu ?"
MLB : "Oui et non, tu as deux sports à risques chez nous, le hockey et le baseball, il y a eu 5 victimes dans l'histoire du baseball, les gens n'ont pas spécialement peur mais voilà... le problème c'est que tu ne vas pas investir des millions pour une victime tous les dix ans, sachant que tu pourrais en avoir plus si tu ne fais rien..."
HH : "Pour les blessures, il y a des cas graves ?"
MLB : "Tu as une vingtaine de traumatismes qui ont laissé des séquelles, comme pour les joueurs qui encaissent des chocs, certains ont eu des dédommagements, il y a eu un cas récent à Chicago, vous avez eu un cas en France, il y a une dizaine d'années, il figure dans les annales de jurisprudence."
HH : "Un Mulhouse-Brest, tu connais le dossier ?"
MLB : "Vaguement, ma conclusion a été de penser qu'il ne fait pas bon avoir un tel problème en France car tout le monde se rejette la responsabilité pour ne pas avoir à indemniser, c'est ceci dit le cas partout...oui, c'était un chef d'entreprise, j'ignore ce qu'il en est pour lui, médicalement, aujourd'hui mais fais-moi savoir si tu as des informations."
HH : "Tes conclusions sur ce dossier ?"
MLB : "C'est rare mais c'est le pire scénario qui peut arriver sur un match de hockey, il faut donc réduire les risques au maximum avec de l'information au public, c'est votre point faible en Europe, de bonnes habitudes de placement dans les petites arenas, et des travaux quand c'est nécessaire dans les plus grandes. Il est important de mesurer les risques, faire slapper tes joueurs et voir ce que cela donne, identifier les sièges les plus exposés et chercher des solutions, quitte à condamner certains lieux. Il faut aussi spécialement s'intéresser aux enfants, les sensibiliser et, pourquoi pas, leur donner une protection, comme je l'ai vu en Alberta dans certaines villes, les classes allaient voir une game et ils avaient des sortes de coques rondes qui peuvent te protéger assez correctement. Les enseignants m'ont dit qu'ils avaient eu un blessé léger et qu'ils avaient fait faire ces coques, tu avais dessus le nom de l'équipe locale et les enfants font du bruit avec, ce qui donne une autre utilité, j'ai trouvé l'idée intéressante. Après, le Canada généralise les postes de secours avancés dans les arenas avec, pour la LNH, une antenne de chirurgie et, un peu partout, des défibrilateurs car un choc violent peut conduire à un arrêt cardiaque. C'est aussi un bon moyen de réduire les risques à ce niveau.
HH : "Merci Mike".